Insolents voyageurs --- par Thierry Soufflard
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INSOLENTS VOYAGEURS
L’art de se faire inviter partout dans le monde avec sa tribu
Par Thierry Soufflard
Aux Éditions Arthaud
2017
249 pages
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SYNOPSIS (4e de couverture)
Leur boussole ? Débarquer là où on n’attend pas une famille. Avec pour aire de jeux les frontières élastiques et colorées du globe.
À cinq (couches-culottes sous le bras) aux quatre coins de la planète, ces insolents voyageurs s’invitent chez ceux qui les inspirent. Ou les intriguent.
Doté d’une belle dose d’audace dans le sac à dos, Thierry Soufflard – entrainant sa petite tribu aventurière – toque à la porte des caravanes de cirque, des roulottes de Gitans, des cabanes de bergers, des maisons amish, des studios de manga japonais ou des abris de Patagonie pour vivre avec femme et enfants les quotidiens hors-normes de ceux qui les accueillent. Un parcours loin du tourisme clé-en-main. Résultat ? Un périple aux lacets défaits. Un plongeon, tête la première, dans des atmosphères hors du commun.
L’AUTEUR (4e de couverture)
Journaliste et photographe depuis vingt-cinq ans, Thierry Soufflard est aussi l’auteur du livre à succès Où s’embrasser à Paris (Parigramme). Il est également scénariste de bandes dessinées (Casterman) et de dessins animés (TF1, France Télévisions). Il monte en parallèle des expos-photos qu’on lui commande sur le racisme, les Tsiganes, le manga au Japon, etc.
photo : Facebook personnel
MES COMMENTAIRES
Voilà un bien étrange bouquin de routards. Et voilà une sorte bien étrange de routards tout court…
Les routards en question sont cinq : le père, la mère et leurs trois jeunes enfants (trois gars). C’est la tribu des « Soufflardeaux ». J’ai présumé (peut-être à tort ?) que le chef de ce clan était l’auteur, Thierry.
Ils partent régulièrement à l’aventure, un peu n’importe quand, et un peu n’importe comment. Et comme le mentionne la 4e de couverture, lorsqu’ils décollent, ils vont frapper à des portes et ils sollicitent l’hospitalité à des gens qui les inspirent ou qui les intriguent. M’enfin, solliciter est un mot à nuancer, on le devine ; tout comme l’expression « insolents voyageurs », par ailleurs, dont ils se sont eux-mêmes affublés.
Mais quand même… Pas trop subtil moi-même, avant d’ouvrir ce livre, et influencé par son titre, je craignais que cela se déroule à peu près ainsi : toc-toc-toc ; auriez-vous des chambres à nous offrir gratuitement ? Et tant qu’à y être, seriez-vous également assez gentils pour nous nourrir, nous et nos enfants ?
Mais ce n’est pas tout à fait comme ça que ça se passe, on s’en doute bien. Cette famille ne demande pas l’aumône. Les parents n’aspirent en fait qu’à partager le quotidien de leurs hôtes pendant quelques jours afin de pouvoir discuter avec eux et de vivre – et de s’imprégner – d’une parcelle de leur existence. Et puis, les invitations ne se font pas toujours à l’improviste – toc-toc-toc, coucou, c’est nous, la tribu ! Veuillez mettre cinq couverts supplémentaires, je vous prie. Certaines font suite à des démarches qui ont été effectuées à distance et à l’avance, par échanges d’e-mails, bien avant le départ. Et certaines autres ne sont en fait que des invitations qu’ils se sont fait gentiment et spontanément offrir, sans rien exiger en retour.
Cela étant spécifié, voilà quand même de bien étranges routards, oui.
Étranges dans le sens de sympathiquement originaux.
Photo : livre Insolents voyageurs
* * *
Qui est ce Thierry Soufflard, l’auteur de Insolents voyageurs, tout d’abord ? Il s’agit à première vue d’une personnalité publique. Il est photographe-journaliste. Écrivain à ses heures, aussi. Et scénariste de BD. Il demeure dans les environs du Mans, d’où il travaille comme pigiste. Mais en dehors de ça, les renseignements sur son compte sont plutôt minces sur Internet ; et les photos de sa pomme relativement rares itou.
Il semble d’un bonhomme bien humble, à tout le moins. Peut-être ce photographe a-t-il le véritable esprit de sa profession ? S’effaçant au profit de ce qui se trouve devant son objectif ? À mille lieues, en tout cas, de la mode Facebook et du culte du « moi moi moi je je je ». Dans son livre, par exemple, parmi la quarantaine de clichés (couleur et noir et blanc) rassemblés au milieu, sa silhouette – curieux mélange de Phil Collins et de Paul Kunigis – n’apparait qu’à quatre ou cinq reprises. Et encore : lorsque cela survient, il se confond avec le reste de sa marmaille. Une attitude qui me plait bien, à première vue.
Photo : livre Insolents voyageurs
Cela dit, comme chaque fois que j’ouvre un recueil de récits de voyage, je cherche la réponse à l’interrogation suivante : qu’est-ce qui motive l’auteur à bourlinguer de la sorte ? Habituellement, l’auteur en question prend quelque temps au tout début de son bouquin afin de s’expliquer là-dessus. Ici, non : aucune tentative de justification – ou très peu. Après la présentation rapide de chaque membre de la tribu, on entre directement dans le vif du sujet : on tourne la page et on se retrouve bang ! au Mans, aux côtés des Gypsie Kings.
Heu… On est où, exactement ? Quoi ? Comment ? Pourquoi ? Un peu déroutant sur le coup…
De toute façon, c’est comme ça que ça va dorénavant se passer : à chaque début de chapitres, il faudra quelques minutes pour s’ajuster et comprendre où l’on est, qu’est-ce qu’on fait là, et comment on en est arrivé là. Mais on s’habitue vite.
Une seconde chose aussi qui m’interpelle dans ce genre de cavales familiales, c’est le partenaire de vie de l’auteur(e), ce « 2e violon » qui se tient en retrait, derrière lui (elle), mais qui n’en partage pas moins son quotidien et son trip. Au fait, je trouve ça beau, ces couples qui vivent exactement la même flamme de l’aventure et qui s’entendent également sur une façon identique de la concrétiser.
Mais ici, on n’apprend pas grand-chose, non plus, sur cette femme au doux nom de Verdine. C’est-y pas assez un joli prénom, ça, en passant – Verdine ? Mais est-ce un vrai prénom ? Ou s’agit-il d’un surnom affectueux ? C’est comme les trois gamins : Robinson, Rocco et Aël… On se demande…
Bref : qui est Verdine ? On n’en sait encore moins sur elle que sur son compagnon de route. Parait qu’en temps normal, elle s’occupe de la « protection de l’enfance ». C’est à peu près tout ce que l’auteur en dit. Peut-être qu’une recherche plus poussée sur Internet nous informerait un peu plus. Pour ce qui est du contenu du livre, en tout cas, on doit se contenter de ces renseignements de base. Et c’est un peu dommage, car à la voir sur les photos, il me semble que cette jeune femme gagnerait à être davantage connue.
* * *
Les Soufflard sont partis à plusieurs reprises – des in and out –, et sur des périodes de temps inégales. Comme des vacances, genre – entre deux contrats, peut-être ?
Et ce bouquin n’est pas écrit sous la forme d’un carnet de route quotidien. Il s’agit plutôt d’expériences relatées au gré des souvenirs de l’auteur et pour lesquelles l’ordre ne semble pas important. Ainsi, les anecdotes rapportées ne sont pas nécessairement chronologiques : certaines aventures récentes prenant place avant de plus vieilles – et vice-versa. Elles sont même quelquefois fragmentées en plusieurs épisodes ; comme leur visite chez les Amish de Pennsylvanie qui revient à trois reprises tout au long du livre, de façon aléatoire.
On ne connait pas, non plus, les années pendant lesquelles ces expériences se sont déroulées. Le seul indice que nous ayons pour nous situer dans l’espace-temps sont le nom du pays (qui accompagne le titre du chapitre) et… et l’âge des enfants. Au début de chaque chapitre, en effet, l’âge de leurs gamins fait office de date du jour.
Exemples…
- (France) – Nos voisins les Gipsy Kings Family : Robinson, huit ans / Rocco, cinq ans / Aël, trois ans
- (Italie) – Adoptés par les cirques : Robinson, quatre ans et demi / Rocco, un an et demi / Aël, quelques mois avant d’entrer en piste
Sympathique, ça aussi, non ? En fait, en procédant de la sorte, l’auteur nous signale que l’année où ça s’est passé n’a aucune espèce d’importance. Ce qui compte, c’est le vécu. Et il a bien raison.
À part ça, rajoutons que Thierry Soufflard maitrise la plume comme un pro : français impeccable, vaste vocabulaire, sens de l’expression imagée (c’est un scénariste de BD), textes joliment enguirlandés… Les épithètes torrentielles se succèdent sans jamais faiblir en intensité, générant une prose poétique, agréable et fluide.
J’avoue par contre avoir pris un peu de temps, au début, à m’habituer à ce style d’écriture. Je trouvais ça beau, oui, mais quand même un peu… achalant, disons. Chacun son truc. Mes attentes personnelles en tant que lecteur de récits d’aventures tendent plutôt vers le pragmatisme, aimant savoir où l’on s’en va et où l’on est rendu ; et n’appréciant pas, généralement, de flotter trop high dans les envolées lyriques et nuageuses, ou déconnectées trop raides d’une certaine vraisemblance. Or, ici, j’avais justement affaire à quelqu’un qui s’amusait comme un gamin à enrober ses anecdotes de jolies fresques narratives et qui flirtait dangereusement avec le « trop ».
Mais je me suis finalement – et assez rapidement – laissé entrainer dans son plaisir. Et ma foi, je ne l’ai pas regretté.
En fait, tout est différent dans ce livre. Différent des autres recueils racontant des « tours du monde », je veux dire. L’auteur nous met lui-même en garde dès le début : « Ceci n’est pas un énième tour du monde en famille, mais le témoignage d’un journaliste-écrivain-scénariste qui, à cinq avec les couches-culottes, toque aux portes de ceux qui l’attirent. Aux quatre coins de la planète. »
Ce bouquin va effectivement à contre-courant des chroniques de voyage habituelles du fait qu’il n’insiste pas du tout sur le principe « tour du monde » en tant que tel, genre : j’ai parcouru tant de pays ; j’ai fait tant de kilomètres ; j’ai plongé tête baissée dans l’exotisme ; j’ai tenté de me noyer à fond dans des cultures différentes, et de les vivre, et de les comprendre…
Non. Quelques-uns de ses récits se déroulent d’ailleurs en France ; dont un – le premier – dans le parking du centre expo du Mans. Pas très dépaysant, ça. Et pour certains autres, si le titre ne spécifiait pas l’endroit où ça se passe, on se croirait presque dans le jardin de notre voisin.
Thierry Soufflard tripe plutôt sur les gens, sur les expériences directes de personne à personne. Mais en frais de gens, on ne parle pas ici de n’importe quels badauds rencontrés dans la rue. Quoique, à bien y penser, ça arrive aussi de temps en temps. Mais dans ce cas, ce baroudeur a le don de tomber sur des types qui, même s’ils sont inconnus, n’en sont pas moins incroyablement marginaux.
Pour donner un aperçu de l’ensemble, on fait tout à tour la connaissance d’Amish américains, de troupes de cirques ambulants, d’une bergère solitaire alpine, d’un transgenre australien, d’artistes bénéficiant d’une certaine célébrité, de chanteurs et danseurs de flamenco… Bref, de personnages qui ne se retrouveront jamais dans les guides Routard et Lonely Planet… Sans parler des lieux…
Un bouquin qui en vaut le détour, au finish, ne serait-ce que pour se laisser bercer par la poésie un peu échevelée et humoristique de l’auteur, et par son amour des rencontres signifiantes et originales. Pour se permettre également l’idée de voyager autrement : faire un « tour des gens », plutôt qu’un « tour du monde », voilà qui n’est pas banal.
PS) Une autre de mes craintes, au début, était de devoir lire un « trip familial » dans le genre : mes chers enfants ; mes bébés adorés ; je les aime tant ; la-famille-est-la-valeur-qui-compte-le-plus-dans-tout-le-monde-entier. Dans le genre aussi que les parents sélectionnent leurs destinations et leurs récits en fonction de leur progéniture.
Échappé belle…
Les gamins font certes partie des périples, leur père fait certes référence à eux, il leur cède certes la parole de temps en temps… MAIS l’accent n’est heureusement pas mis sur eux. Les destinations ne sont apparemment pas choisies pour faire vivre à leurs enfants l’aventure la plus extraordinaire de toute leur vie. On sent au contraire que les deux adultes décident de triper pour leur propre compte, mais qu’ils préfèrent emmener leurs enfants avec eux plutôt que de partir simplement en couple.
Et cette initiative, d’ailleurs, les a sûrement et souvent aidés à entrer plus facilement en contact avec les autres.
MON APPRÉCIATION
(pour bien comprendre l’attribution de cette cote, lire rapidement ceci)
SITE INTERNET DE L’AUTEUR
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