Les maudits vents

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Sauvage par nature --- par Sarah Marquis

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SAUVAGE PAR NATURE

De Sibérie en Australie – 3 ans de marche extrême en solitaire

Par Sarah Marquis

Aux Éditions Michel Lafon

2014

304 pages

 

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SYNOPSIS (4e de couverture)

 

Ne vous fiez pas aux apparences. Sarah Marquis est une vraie guerrière capable d’échapper aux attaques des cavaliers mongols et aux trafiquants de drogue dans la jungle laotienne. À l’approche du danger, elle se cache, glisse dans la nuit et se déguise en homme pour survivre.

 

Les animaux sauvages et la nature sont sa famille. Elle s’endort comme un bébé aux côtés des serpents, des loups, des chevaux sauvages, des kangourous. Dépouillée de tout confort et de superflu, mais pourvue de l’essentiel, cette jeune femme s’est adaptée aux conditions les plus extrêmes, pour mieux comprendre ce qui nous lie à la Terre et au « tout ».

 

Sarah Marquis nous livre le récit – tantôt drôle, tantôt poignant – de son odyssée de 1000 jours et 1000 nuits. La force de ses pas vous inspirera le respect. Sa philosophie de vie vous donnera le goût de l’aventure et vous emmènera au-delà de ces terres inconnues.

 

L’AUTEURE (4e de couverture)

 

Sarah Marquis parcourt le monde à pied en solitaire depuis plus de vingt-trois ans. Après la traversée des États-Unis, 14000 km dans l’Outback australien et 7000 km sur la voie des Andes, elle s’est lancé un défi titanesque avec cette expédition. Elle a remporté le prix européen de l’Aventurier de l’année 2013 et a été nominée Aventurier 2014 par National Geographic.

 

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photo : site sarahmarquis.squarespace.com 

 

MES COMMENTAIRES

 

Dans une précédente chronique, j’ai parlé d’une baroudeuse – Katia Astafieff – qui avait publié ses carnets de voyage sous le titre de Comment voyager seule quand on est petite, blonde et aventureuse. Eh bien, ce livre-ci – Sauvage par nature – aurait très bien pu se voir attribuer un titre équivalent.

 

Du point de vue des objectifs, par contre, il y aurait quand même eu une différence de taille entre les deux : alors que le bouquin de Katia Astafieff voulait rassurer les femmes timorées sur le fait de partir à l’aventure en solitaire à travers la planète, celui-ci, de la Suissesse Sarah Marquis, aurait plutôt tendance à métamorphoser leur inquiétude initiale en parfait affolement !

 

Pas du tout le même style de périple, en effet : une routarde-conventionnelle-sac-à-dos vs une marcheuse-de-la-mort-poussant-charrette-dans-le-désert ; hébergement backpackeurs vs camping sauvage en pleine nature ; sécurité relative vs état de survie quasi continuel…

 

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photo : site sarahmarquis.squarespace.com

 

Deux globe-trotteuses, deux mondes…

 

* * *

 

Si vous avez également lu L’homme qui marche, vous vous rappellerez que, lorsqu’il avait décidé de s’élancer sur les routes en marchant, Jean Béliveau s’était fixé le but – plus ou moins précis – de faire le tour du monde. Ce qu’il a fait en 11 ans, avant de rentrer à la maison et de se remettre à sa vie de sédentaire – je suis parti, j’ai marché, j’ai vaincu, je suis revenu, that’s it that’s all.

 

Sarah Marquis, une autre marcheuse devant l’éternel, s’organise différemment : lorsque vient le moment de partir, elle se fixe un but à plus court terme, une sorte de programme passablement circonscrit dans l’espace et dans le temps. Et elle le réalise. Mais aussitôt revenue chez elle, la piqure lui reprend de repartir. Elle se refixe alors un nouvel objectif. Et elle repart. Et elle revient. Et ainsi de suite.

 

Pour l’heure, dans ce bouquin-ci, voilà le trajet qu’elle s’était tracé : Mongolie centrale, désert du Gobi, Chine, Sibérie, Laos, Thaïlande, Australie du Nord et Australie du Sud. Un projet qui a mis quelques années avant de voir le jour et qui a été rendu à terme en trois ans ; même s’il a été malheureusement entrecoupé d’une évacuation temporaire pour raison médicale, d’une autre à cause des conditions climatiques trop dangereuses et enfin d’une troisième pour cause d’une expulsion par les autorités.

 

Je voudrais d’abord mentionner que j’avais deux questionnements avant d’amorcer ce livre, mais que je n’ai pas trouvé de réponses, même après m’être rendu au mot « fin »…

 

1er questionnement : quelles sont ses motivations ?

 

Il s’agit là d’une éternelle curiosité de ma part lorsque j’entreprends la lecture de cette sorte de récits. Pourquoi des personnes comme vous et moi, qui vivent dans une aisance relative, quittent-elles soudain leur confort pour s’élancer ainsi dans une expédition très longue, très difficile et au cours de laquelle elles risquent fort d’y laisser leur vie ? Chaque fois, ces gens essaient de se justifier en début de bouquin. Mais chaque fois, ils n’y parviennent pas vraiment.

 

Pour ce qui est de Sarah Marquis, je croyais bien, ce coup-ci, obtenir une réponse claire, car elle se pose la question à elle-même de façon très explicite en introduction : « Il a fallu tellement de pas, tellement d’aventures pour pouvoir répondre à cette seule question : pourquoi est-ce que je marche ? L’explication est d’une simplicité presque logique et pragmatique. » Yes ! Excellent ! Enfin !

 

Mais à question limpide, réponse vague, ici aussi, malheureusement. J’ai bien tenté de décortiquer la suite, mais je me suis perdu dans un paragraphe psycho-introspectif qui n’a de sens – probablement – que pour elle. Mais peut-être que je suis bouché. Ça se peut également très bien. Je suis un gars, après tout. Et un gars, par définition, c’est superficiel, pratico-pratique et ça a du mal à lire entre les lignes.

 

Mais bon…

 

En fait, pour faire simple, j’en suis venu à la conclusion que les motivations de départ de tous ces baroudeurs tournent à peu près toujours autour de celles-ci : relever un défi personnel (se prouver quelque chose à soi-même et/ou aux autres) ; réaliser un rêve (ce qui n’explique rien : d’où provient ce rêve, justement ?) ; balancer le train-train quotidien plate par-dessus bord et se sentir enfin libre ; envoyer la société de consommation de merde se faire foutre.

 

Alors, tout bien considéré, j’imagine que nous avons encore une fois affaire ici à l’une ou à plusieurs de ces raisons. À celles-ci, j’ajouterais peut-être cette fois un désir de communier transcendentalement avec la nature.

 

2e questionnement : est-ce que Sarah Marquis aime les gens ?

 

C’est le titre de son bouquin qui m’a suscité cette interrogation : Sauvage par nature. Ce titre fait-il référence à elle-même ? Chez nous, au Québec, une personne sauvage, c’est une personne qui tente d’éviter les relations avec ses semblables.

 

En tout cas, la solitude ne lui pèse pas vraiment sur les épaules, ça c’est sûr. Mais encore : est-elle une authentique misanthrope ? La question se pose doublement lorsqu’on lit des extraits de ce genre : (page 106) : « Je commence une traversée qui se déroulera entre le sable, le vent et moi. Que du bonheur, je revis… Ce seront 150 km sans humains, enfin ! » (page 152) : « Je suis en territoire han, les regards sont noirs, suspicieux, on ne me parle pas, on m’ignore, et cela me va comme ça. » 

 

D’un autre côté, elle trippe à partager des moments d’intimité avec les familles qui l’accueillent avec courtoisie et respect. Elle semble en effet vraiment apprécier ce genre de rencontres généreuses et authentiques. Des rencontres qui sont par ailleurs souvent provoquées par des femmes – surtout des femmes âgées –, dans une sorte de solidarité féminine instinctive. Elle retire vraisemblablement un réel et profond bienfait de ces instants privilégiés.

 

Alors quoi ? Alors, je ne sais pas.

 

https://static.blog4ever.com/2016/03/816195/Sarah-Marquis---Mongolie.jpgphoto : site sarahmarquis.squarespace.com

 

* * *

 

Remarquez qu’elle a souvent eu raison de fuir les autochtones. Mazette ! Moi-même, avoir été à sa place, en Mongolie notamment, je me serais arrangé pour les éviter. En prenant connaissance de son expérience, on est loin, ici (en Mongolie, toujours), de la vision fleurie des peuples nomades-généreux-et-gentils-vivant-en-harmonie-totale-avec-la-nature. Plus souvent qu’autrement, elle a eu maille à partir avec des habitants de « villages de fous » et avec des gros mecs abrutis d’alcool qui venaient rôder autour de sa tente presque chaque nuit et qui la terrorisaient ; avec des hommes ordinaires, aussi, qui urinaient juste devant elle, dans une sorte de rituel culturel de marquage de territoire, comme le font les chiens (une coutume, vraisemblablement…)... Tabarnouche…

 

Et à propos de la Mongolie… Voilà la 2e aventure que je lis qui se passe là-bas. La 1ère, celle de Mélanie Carrier, m’avait laissé une tout autre impression (voir la critique du livre Cadence). En fait, Mélanie avait quant à elle vécu, ni plus ni moins, que l’existence idyllique des nomades telle que je viens de la décrire précédemment. Aucun commentaire de sa part par rapport à des hommes ayant pissé devant elle ou ayant remonté leur teeshirt sur leur bedaine pour exprimer leur opulence. Même pays, deux visions différentes. C’est ben pour dire…

 

Pour revenir à Sarah, nous la comprenons donc parfaitement lorsqu’elle raconte : (page 153) : « Je me protège en dormant le plus loin possible des villages dans la forêt ou dans une rizière suspendue en terrasses. Je suis devenue une experte en camouflage. Je ne reste jamais dans les villages, je me glisse dans le décor. » Nous la comprenons, oui, car la plupart des gens qu’elle rencontre – hommes, femmes et enfants – tentent très souvent de s’en prendre à elle. En la lapidant, même, quelquefois. On rit pu pantoute.

 

On voit finalement que, dans ce bouquin, les sociétés – du moins, les sociétés mongoles, chinoises et sibériennes – sont loin d’être sympathiques… Une lecture à ne pas recommander aux femmes qui pensent entreprendre une aventure identique à la sienne. Cela leur coupera tout de suite cette envie saugrenue de l’imiter.

 

Cela dit, Sarah Marquis écrit avec un français qu’elle maitrise très bien. Son vocabulaire est riche et ses descriptions sont fréquemment empreintes de poésie ; surtout celles qui traitent de la nature.

 

La charge émotive de ses propos est ambigüe, par contre. Celle-ci est certes très perceptible lorsqu’elle s’extasie devant les animaux et les beautés de l’environnement. L'auteure s’exprime à ces moments-là à l’aide de jolies envolées lyriques. Elle adore la nature, ça parait en grand, même dans ce que celle-ci offre de plus terrifiant.

 

Mais pour le reste – et cela inclut des passages aussi dramatiques que des attaques d’animaux féroces, des affrontements de conditions climatiques extrêmes, et de malencontreuses rencontres humaines –, pour le reste, donc, son style devient étonnamment « neutre ». Comme si elle se détachait de ce qu’elle avait vécu ; ou comme si elle voulait en minimiser l’importance – mais pourquoi ?

 

Ou peut-être également, pour se donner un air faussement cool – du genre « Vous savez, c’est tellement banal, pour moi, de gérer tout ça ».

 

Exemples…

 

- (page 115) : « Plus tard, dans la nuit, elles sortiront de leur cachette, me grimperont dessus et voyageront sur mon visage. Normalement, ce ne sont que de grosses fourmis ou des araignées, et cela ne me gêne pas, mais des scorpions, c’est déjà un peu plus embêtant. »

 

- (page 130) : « (…) je suis réveillée par des hurlements de loup. Ils sont là autour de ma tente, tout proches. Je me fige, je souris. Et pourtant un frisson parcourt ma peau, l’adrénaline a saisi mon corps. Je ne bouge pas. Je sais que ma toile de tente ne me protégera pas d’une meute de loups. J’aimerais hurler comme un loup à mon tour, pour leur répondre. Mais vu ma position, je préfère me taire et déguster cette promiscuité avec ces survivants. »

 

Traduction libre et personnelle de ce dernier extrait : Je suis seule dans la steppe, dans une tente, à mille lieues de toute présence humaine et de secours éventuels. Les loups m’entourent et m’ont sans doute flairée. Je suis peut-être à deux minutes d’être attaquée et dévorée vivante. Mais y’a rien là. Au contraire : je jouis littéralement d’avoir la chance unique de vivre ce moment privilégié d’être avec eux…

 

Personnellement, je ne crois pas trop à cette désinvolture…

 

https://static.blog4ever.com/2016/03/816195/Sarah-Marquis---Serpent.jpgphoto : site sarahmarquis.squarespace.com

 

Quelques points pour terminer :

 

- Le récit est linéaire, chronologique, mais pas à la manière d’un journal de bord traditionnel. Les chapitres sont certes titrés en fonction des pays que la marcheuse a traversés les uns à la suite des autres, mais il est quand même un peu difficile de la situer dans le temps et dans l’espace au fur et à mesure qu’elle fait part de ses expériences.

 

- Des cartes sont présentes en début des chapitres. Elles sont dessinées de façon très sommaire, mais elles nous indiquent au moins les itinéraires qu’elle a suivis.

 

- 64 photos couleur – dont quelques-unes vraiment magnifiques – sont regroupées au milieu du bouquin. À noter que la moitié de celles-ci (32) sont réunies sur une seule page : 32 autoportraits de l’auteure…

 

- La fin fait quelque peu hollywoodienne (et elle est effectivement arrangée avec le gars des vues)… La marcheuse s’était donné comme but ultime d’atteindre un certain arbre, en Australie (son « petit arbre », l’appelle-t-elle). Un arbre qui avait vraisemblablement une signification particulière pour elle (qu’on ne connait pas nous-mêmes). Lorsqu’elle se trouve à quelques kilomètres de ce fameux arbre, un hélicoptère la survole et filme ses derniers pas. Elle approche lentement, exténuée… Y parviendra-t-elle ? Encore vingt mètres… cinq... un. Elle le touche. Elle se laisse tomber par terre en pleurant devant quelques personnes rassemblées… Mais bon, responsabilités envers les sponsors obligent…

 

https://static.blog4ever.com/2016/03/816195/Sarah-Marquis---Petit-arbre.jpgphoto : site sarahmarquis.squarespace.com

 

- Sarah Marquis est une véritable aventurière, marchant en solitaire et en mode survie dans des natures inhospitalières. Mais comme elle le mentionne au début de son livre, chaque fois qu’elle s’élance de la sorte, elle est parfaitement préparée afin de mettre toutes les chances de son côté. Elle s’entoure tout d’abord d’une équipe de confiance : elle est sponsorisée au cube, ravitaillée périodiquement par un logisticien qui va la retrouver à des points précis, et soutenue par un contact personnel dans chaque pays où elle se rend. Elle transporte également des cartes très détaillées, deux téléphones portables, un GPS, et un truc, un appareil indiquant à tout le monde et en tout temps l’endroit où elle se trouve géographiquement. De sorte que quand vient de temps d’être évacuée d’urgence, les choses ne trainent pas.

 

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photo : site sarahmarquis.squarespace.com

 

MON APPRÉCIATION

(pour bien comprendre l’attribution de cette cote, lire rapidement ceci)

 

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SITES INTERNET DE L’AUTEURE

 

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sarahmarquis.ch

 

AUTRES OUVRAGES DE L’AUTEURE

 

Désert d’altitude

Du Chili au Machu Pichu – 8 mois à pied sur la Cordillère des Andes

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2015

 

L’extraordinaire destin de D’Joe

Le chien australien de l’aventurière Sarah Marquis

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2009

 

L’aventurière des sables

14'000 km à pied à travers les déserts australiens

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2004

 

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18/12/2017
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