Les coïncidences
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J’ai hésité longtemps avant d’écrire cet article. Chaque fois que j’aborde ce sujet avec les gens que je connais, je fais face à deux attitudes. La première est une oreille indulgente accompagnée d’un petit regard de bienveillance – sinon de moquerie. Traduction : on m’écoute gentiment et patiemment, tout en me démontrant qu’on m’aime bien malgré ma naïveté enfantine. La deuxième réaction se manifeste lorsque je reviens à la charge, plus tard, avec le même sujet. Là, l’écoute est beaucoup moins évidente ; et au lieu d’un sourire en coin, j’ai droit à des yeux qui lèvent vers le plafond. Traduction : « Oh, ça va, hein ! Je t’ai écouté la première fois, mais là, j’en ai un peu marre de t’entendre radoter ! »
Je me risque donc encore une fois à aborder ce sujet. Ce sera beaucoup plus facile que d’habitude étant donné que je n’aurai personne devant moi, et que je n’affronterai aucun sourire moqueur ni aucun regard d’impatience.
Je m’apprête à parler ici de situations que tout le monde vit régulièrement – et souvent – au cours de son existence, mais dont à peu près personne ne prête attention. Tout juste si celles-ci suscitent quelques secondes d’étonnement dans la tête de la personne à qui ça arrive avant qu’elle passe à autre chose et qu’elle oublie.
Des événements de cette nature se produisent alors que les probabilités statistiques affirment qu’elles sont quasi impossibles de survenir. C’est comme de gagner à la loterie. Pire encore : c’est comme de gagner à la loterie à plusieurs reprises. Malgré tout, l’aspect extraordinaire de ces expériences n’affecte à peu près personne.
* * * * *
Je relate une anecdote que tout le monde a vécue au moins une fois dans sa vie (à sa façon).
À l’époque où j’étais étudiant, je me suis payé un voyage à Paris, ville que j’ai sillonnée de long en large, à pied, pendant quelques semaines. Une de mes promenades m’a un jour mené devant la cathédrale Notre-Dame de Paris. Rien n’était prévu de la sorte. Je me suis retrouvé en face de cet édifice un peu au hasard, comme c’était d’ailleurs arrivé plusieurs fois au cours des jours précédents. Ce coup-ci, par contre, je suis entré pour la visiter. Je marchais un peu partout dans les allées, admirant les merveilles qui m’entouraient, lorsque tout à coup, j’ai entendu mon nom avec un ton d’étonnement : « Yvan ?! » J’ai tourné le regard, et qui ai-je vu ? Un ami, étudiant à la même école que moi, au Québec !
Il ne savait pas que j’étais à Paris. Et moi non plus. Nous ignorions totalement que nous avions décidé de faire ce voyage. Et nous étions là en ce moment : face à face, exactement au même endroit, exactement au même moment, à plus de 5 500 km de distance de notre ville d’origine.
Nous nous sommes tant bien que mal remis de notre ahurissement, nous avons échangé quelques mots, et nous nous sommes séparés une dizaine de minutes plus tard.
Lorsque vous avez vécu votre propre expérience semblable, je suis certain que vous avez fait à peu près la même chose que moi, c’est-à-dire que vous avez ensuite plus ou moins oublié cet événement – et rapidement.
Et pourtant, lorsqu’on y songe, et lorsque cela arrive, c’est comme si nous gagnions à la loterie. Si les statisticiens mettaient un pourcentage de chance pour qu’une coïncidence de cette nature survienne un jour, le chiffre ressemblerait sans doute à quelque chose comme 0,00001 %.
C’est facile à comprendre. Pour reprendre mon anecdote, essayons d'imaginer le nombre incroyable de petits événements qui se sont produits en amont de nos deux personnes pour qu’une telle synchronicité ait lieu ? En fait, quand on y réfléchit, on se rend compte que c’est effarant.
Il faut tout d’abord considérer certaines variables connues (planification de nos vacances, heures de départ et d’arrivée de nos avions, planification de nos journées, de nos visites…), mais surtout une somme incalculable de variables fortuites qui se sont enchainées depuis le matin de la rencontre (l’heure de nos réveils respectifs, la vitesse de nos pas dans les rues, les multiples décisions d’aller par ici ou bien par là, de s’arrêter devant une vitrine, de continuer notre chemin, etc., etc., etc.). Pour finalement aboutir un moment donné dans la même allée de la même église, et exactement au même moment. Une minute de plus ou de moins et nous aurions passé pas loin l’un de l’autre, mais sans nous apercevoir.
Un ordinateur hyper puissant n’aurait pas réussi à coordonner un tel événement en incluant tant de variables aléatoires.
Si une coïncidence de ce genre n’était vécue que par quelques personnes à travers la planète et qu’à une seule reprise dans leur vie, cela ne serait pas si terrible. La preuve c’est que quelques individus gagnent à la loterie une fois dans leur existence, et cela n’émeut personne.
Mais là où ça devient littéralement inimaginable, c’est lorsque tout le monde vit des coïncidences de la sorte, et plusieurs fois au cours des années. En tenant compte de toutes les coïncidences qui surviennent dans la vie d’un être humain, les statisticiens chiffreraient peut-être les probabilités à quelque chose qui ressemblerait à ceci : 0,000000000000001 % – je dis évidemment n’importe quoi. Et pourtant, malgré ce fait absolument extraordinaire, on ne tombe pas à la renverse. On ne s’extasie pas. On ne s’étouffe pas d’étonnement. On passe simplement notre chemin en continuant de vaquer à nos petites tâches quotidiennes.
* * * * *
J’exagère ?
Je ne crois pas, non.
J’ai un jour pris conscience que je vivais un tas de petites coïncidences, et ce, très régulièrement. Il y en avait de toutes les sortes : des plus anodines aux plus singulières. Les plus fréquentes concernent des « mots ». Je m’explique.
Je lis et j’écris beaucoup. Un moment donné, je me suis rendu compte que j’entendais tout à coup à la radio le même mot – ou les mêmes mots – que celui que j’étais en train de lire ou d’écrire.
En même temps…
Par exemple (et c’est un exemple parmi tant d’autres), je lisais un jour un roman assis tranquille dans mon salon. Au cours de ma lecture, et alors que Serge Fiori chantait sa chanson Le monde est virtuel à la radio, j’ai lu la phrase : « Tout le monde dormait. » Pendant ce temps, et exactement au même moment, j’ai entendu Fiori qui prononçait « Tout le monde est si loin ».
Bon…
Banal, tout ça, direz-vous.
Ah oui ? Nous trouvons ça banal sans doute parce que des petites coïncidences insignifiantes de la sorte arrivent de temps en temps à tout le monde.
Eh bien, moi, je crois que ce n’est pas banal du tout. Que c’est même extraordinaire. J'explique ça en donnant deux raisons :
1) Les probabilités pour que cette synchronicité survienne une fois.
Les probabilités pour que ces mots se soient rencontrés en même temps dans mon environnement sont à peu près les mêmes que celles de ma rencontre à Paris quand j’étais jeune.
Pour que les deux « tout le monde » soient parfaitement synchronisés comme ils l’ont été dans le temps, il a fallu qu’un nombre incommensurable de variables se mettent en branle de deux côtés à la fois depuis le matin : de mon côté à moi, dans ma maison ; et de celui de la station de radio. Essayez d’imaginer ce qui s’est passé. Pour vous aider, imaginez qu’on vous donne l’ordre suivant :
— Votre mission est de coordonner les événements pour qu’un chanteur prononce les mots « tout le monde » dans une chanson à la radio exactement en même temps (à la seconde près) qu’Yvan lise les mots « tout le monde » dans un écrit quelconque.
Vous y êtes ? Prenez-vous conscience de l’ampleur – et de la quasi-impossibilité – de la tâche ? Vous auriez un mal fou à y parvenir :
– Vos directives à la station de radio ressembleraient à ceci : « Ok, prenez cette chanson de Fiori. J’ai vu qu’il y avait les mots “tout le monde” dedans. Faites-la jouer à telle heure. Bon, vous y êtes ? Non, pas tout de suite ! Attendez ! Là, allez-y ! Non ! Attendez encore ! Ok, go ! »
– Vos directives à mon intention ressembleraient à ceci : « OK, installe-toi pour lire à telle heure. Prends tel livre, j’ai remarqué que les mots “tout le monde” étaient écrits à telle page. Lis à telle vitesse. Ok, go : commence à lire. Oups, non, tu lis beaucoup trop vite. Quoi ? Faut que tu ailles au petit coin ? D’accord, mais fais vite. Bon ! Fiori a commencé à chanter pendant ton absence. Ça commence à urger. Va plus vite ! Ralentis maintenant ! Accélère ! Non, reprends cette phrase ! Arrête ! Go ! »
Le délire…
Et pourtant, en réalité, cela s’est fait tout seul !
Mais j'entends d’ici : « Pff ! Aucune magie là-dedans. Les mots “tout le monde” sont trop courants. On les lit et on les entend plusieurs fois par jour. Les chances qu’ils se rencontrent un moment donné sont de ce fait multipliées. »
Ah oui ? D’accord.
Alors, qu'en est-il de ceux-là ?
J’étais encore en train de lire un roman dans mon salon. Pendant ce temps, un moment donné, ils ont mis une chanson à la radio : Le monstre, de Karim Ouellet. J'ai continué ma lecture sans même entendre la chanson. Tout à coup, pendant que je lisais « Gardez ce squelette dans ce placard », j'ai entendu en arrière-fond (Karim Ouellet) : « Faut pas le réveiller mon squelette au placard »
En même temps !
Squelette et placard, convenons ce coup-ci qu’il s’agit là de deux mots qu’on n’entend pas tous les jours, n’est-ce pas ?
Et que dire, par exemple encore, de l’expression complète « tout le monde s’en fout » ? J’ai lu et entendu cette phrase de façon absolument synchrone deux jours à peine après la précédente anecdote (avec la chanson Reviens pas, de Monsieur Lune).
J’aimerais tellement qu’un statisticien se pointe le bout du nez, un jour, et qu’il calcule les chances pour que de telles synchronicités se produisent au cours d’une vie. Et qu’il me confirme que je ne fabule pas.
Y en a-t-il un – ou une – dans la salle ?
2) Les probabilités pour que ces synchronicités surviennent plusieurs fois.
Lorsque j’ai pris conscience que ce genre de petites coïncidences se produisait souvent, intrigué, j’ai décidé de faire un test pour en avoir le cœur net. Ce n’était pas très scientifique, j’en conviens, mais ça l’était tout de même plus que de me laisser mener par mon imagination.
Mon test a simplement consisté à noter chaque événement au fur et à mesure qu’il survenait. Du moins, ceux dont j’avais conscience. C’est tout. J’ai fait ça pendant onze mois. J’ai arrêté parce que je me suis tanné. De toute façon, après tout ce temps, l’expérience s’était avérée concluante dans ma tête.
En fait, la grande majorité de ces coïncidences s’est réduite en des mots / expressions / phrases lues ou écrites et entendues en même temps, comme celles que j’ai rapportées précédemment. Mais il n’y a pas eu juste ça. Il m’arrivait aussi des trucs étranges comme, par exemple, de penser à quelqu’un en marchant sur la rue et de voir tout à coup son nom écrit sur un panneau.
Un soir, j’ai pensé à un ami d’enfance. Son nom était SM. J’ai fait quelques recherches sur Facebook pour tenter de le retrouver. Sans succès. J’ai laissé tomber. Le lendemain matin, j’ai ouvert mon Facebook. Il y avait une demande d’amitié en attente de la part de SM !! Mais ce n’est pas tout. Je me suis finalement rendu compte qu’il ne s’agissait pas de mon ami d’enfance. Il s’agissait plutôt d’un autre SM (exactement les mêmes nom et prénom !). Un SM que je ne connaissais ni d’Ève ni d’Adam. Cette personne avait vu que j’avais écrit un roman (fouille-moi comment) et ça l’avait incité à me faire cette demande d’amitié.
Bref, j’ai pris en note tout ce que je pouvais, mais j’en ai évidemment omis plusieurs – il est en effet impossible d’être conscient de tout ce qui se passe autour de soi. J’en ai également oublié plusieurs autres parce que je n’avais rien pour les noter au moment où elles me tombaient dessus.
Nonobstant ces oublis volontaires et involontaires, tout le reste a été consigné : les coïncidences, ainsi que les dates où elles sont survenues.
Et qu'est-ce que ça a donné ?
Ça a donné une moyenne de 1,2 par jour, c’est-à-dire 446 en 11 mois !
Quelquefois, j’en ai noté jusqu’à cinq ou six par jour, alors qu’il s’écoulait quelques jours pendant lesquels il ne se passait rien. Il faut dire aussi que je ne pensais pas à ça vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Ça ne s’est pas arrêté pour autant depuis ce temps-là. Le phénomène s’est poursuivi. Et ça continue encore aujourd’hui.
Et tiens, justement, pendant que j’écris ces lignes, il vient d’en survenir une. C’est vraiment malade.
* * * * *
Exactement comme les gens en ont marre lorsque je leur parle de ce sujet-là, j’en ai moi-même marre d’en discuter et de tenter de leur faire prendre conscience qu’il s’agit là d’événements qui défient toutes les lois des probabilités. D’autre part, j’aimerais bien, oui, qu’un statisticien lise un jour ce texte et qu’il veuille me confirmer que c’est mathématiquement – et minimalement... intriguant, disons.
Pour l’instant, voilà ce qui me parait évident : en tenant compte des lois qui régissent le monde des probabilités, et comme tous ces petits et grands hasards sont statistiquement impossibles à survenir en tenant compte de cette quantité et de cette fréquence au cours d’une vie, eh bien, j’avance que c’est arrangé avec le gars des vues. Autrement dit, « quelqu’un » dirige tout ça.
Ça, c’est l’évidence.
Les non-évidences – et mes frustrations personnelles –, c’est d’ignorer encore une maudite fois « qui » est ce quelqu’un, et surtout « qu’est-ce que ça signifie ? »
Pour l’instant, en effet, tout cela ne signifie absolument rien dans ma tête, et cela n’a aucune conséquence dans ma vie.
C’est nul. Mais c’est quand même incroyable. Je n’en démords pas.
Mais le plus frustrant, je trouve, c’est de ne pas avoir aucun contrôle sur le processus. On dirait que je suis manipulé comme une marionnette, et ça m’énerve royalement. Pff…
PS) Comme divertissement, je propose ces trois vidéos qui parlent de coïncidences autrement plus spectaculaires que mes petites insignifiances :
Cliquez ici. Ensuite ici. Et finalement ici.
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