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27 mai 2023
Avant-propos (partie 1)
Ceci est ma 2e rando faisant l’objet d’une chronique en 3 ans dans ce secteur précis des Sentiers frontaliers, c’est-à-dire dans celui de la ZEC du mont Gosford. En juin 2020, j’avais alors marché la « boucle du Cap-Frontière » (17,7 km), qui n’avait pas été de la tarte, mais que j’avais énormément appréciée.
J’en avais fait la description de long en large dans cette chronique-ci. Pour ne pas me répéter, j’y réfère les lecteurs pour tous ces détails. Je me contenterai ici de n’apporter que quelques nécessaires précisions afin de mettre la journée – particulière – d’aujourd’hui dans son contexte.
Cela dit, cette ZEC du mont Gosford est située à l’extrême sud du Québec, au sud du lac Mégantic, collé sur la frontière américaine, et elle s’enfonce dans l’état du Maine.
Elle comprend évidemment le mont Gosford, qui culmine à environ 1193 mètres d’altitude, et qui est la plus haute montagne du sud du Québec (ou du moins « l’une » des plus hautes, ça dépend qui en parle).
L’ascension du mont Gosford est évidemment un incontournable lorsqu’on fait de la randonnée pédestre à cet endroit. C’est justement ce que j’avais fait la première fois, car mon forfait « boucle du Cap-Frontière » avait bien sûr inclus cette attraction naturelle. Et mon forfait de cette année l’a de nouveau incluse.
Mais pourquoi suis-je retourné là-bas, au fait ? J’en explique ici la raison en quelques mots.
Avant-propos (partie 2)
Lors de ma précédente randonnée dans ce coin-là, en plus du mont Gosford comme tel, mon parcours m’avait mené à la frontière américaine après 8 km de marche. Rendu à cette place stratégique, j’avais eu le choix de tourner à droite et prendre le SF-7, ou à gauche en continuant sur le SF-1. À noter que ces deux sentiers-là (à droite ou à gauche) correspondent tous les deux à la frontière canado-américaine. La frontière étant considérée ici dans le sens littéral du mot.
J’avais alors tourné à droite, sur le SF-7. Pour 2 raisons :
1) c’était le circuit que je m’étais fixé au départ ;
2) le SF-1 (à gauche), à partir de cet endroit, me faisait un peu peur dans ce temps-là. La carte qualifiait en effet ce SF-1, du moins sur 6,1 km, de « sentier à niveau de difficulté très élevé » (voir l’encerclé jaune fluo sur le plan ci-dessous)
Mais est-ce que c’était vraiment le cas ? T’sé veux dire : depuis le temps que je marche dans la nature, j’ai appris à me méfier de ces renseignements exprimés par les organismes et par les gens eux-mêmes qui en parlent, car c’est toujours une notion très personnelle, et donc très relative. Pour m’en faire une idée plus précise, j’avais passé du temps à lire les (rares) commentaires sur les blogs concernant cette piste. Eh bien, il semblait que ce n’était pas exagéré, cette fois. Des randonneurs chevronnés, plus jeunes que moi de surcroit, confirmaient que c’était pas mal heavy métal…
Je cite ici l’une d’entre eux : « Identifiée comme une “section à niveau de difficulté très élevé”, cette portion est épique. Le dénivelé est si important que j’ai même eu le vertige à un ou deux endroits ! »
Et un autre ici : « J’ai découvert le goulag canado-américain. La ligne de la frontière dans ce secteur a été faite par un sado : aucun secteur plat, et des montées vertigineuses sans arrêt. (…) Ça a été effectivement l’une des portions de sentier les plus difficiles que j’ai faites de ma vie ; et j’ai plus de 2 000 km de faits. »
Gloup…
Gloup, oui, en tenant compte du fait que, si l’on désire faire cette piste en une journée, et si on ne veut pas se la farcir deux fois de suite en faisant un aller-retour, on est obligé, en plus, de se taper 11,6 km supplémentaires dans une longue boucle de montagnes avant de revenir à son point de départ. Pour un grand total de 17,4 km – incluant l’ascension du mont Gosford !
Un minimum de réflexion était de ce fait de mise avant de décider de m’aventurer dans cette galère.
Ce coup-là, j’avais laissé faire… mais avec le projet de tenter éventuellement ma chance plus tard. En fait, cette idée n’a pas cessé de m’obséder depuis ce temps-là. Et tant et tellement que je n’ai pas eu d’autres choix que d’y donner suite. Mais j’hésitais à la faire seul, celle-là. J’ai donc cherché un(e) ami(e) pour m’accompagner dans cette folle épopée (j’exagère). Mais d’ami(e)-aventurier(ère) de la sorte, je n’en ai point trouvé. Et après m’être parlé dans le casque, je me suis finalement résolu d’y aller en solitaire, comme une grande personne. Ce que j’ai fait aujourd’hui. Et je viens tout juste d’en revenir.
Veni vidi vici…
Mais je ne me suis pas lancé dans cette excursion les yeux fermés. Je suis parti avec un mini-kit de survie au cas où. J’avais également mon cellulaire en espérant qu’il y aurait des ondes le cas échéant. Et j’ai laissé mon trajet à ma blonde avant de la quitter, et en lui donnant la consigne d’appeler le 911 si je n’étais pas de retour dans les environs de 20h00.
J’ai aussi minutieusement planifié mon itinéraire…
Cette planification incluait :
– le choix de l’heure du départ, en tenant compte que cette rando prendrait (en théorie) environ entre 11 et 12 heures, en mettant tout au pire ;
– le choix du point de départ – qui serait évidemment aussi celui de l’arrivée ;
– le choix du sens de la marche : dans le sens des aiguilles d’une montre, ou l’inverse.
Et voilà l’itinéraire que ça a finalement donné :
Le « sentier fatal » se ferait donc en toute dernière partie. Ainsi l’avais-je décidé. Et en choisissant ce point de départ, je commencerais et je terminerais cette rando en pente descendante.
Détails techniques du sentier
Tracé et dénivelé
Informations diverses
Distance |
17,4 km |
Mais en sachant pertinemment que le GPS en donnerait finalement une vingtaine |
Dénivelé positif cumulé approx. |
955 mètres |
entre 850 et 1055 selon différentes sources |
Dénivelé négatif cumulé approx. |
955 mètres |
idem |
Altitude au départ |
693 mètres |
entre 691 et 697 selon différentes sources |
Altitude mont Gosford |
1185 mètres |
entre 1177 et 1193 selon différentes sources |
Altitude au début du sentier « à niveau de difficulté très élevé » |
1158 mètres |
|
Niveau de difficulté |
Difficile (très) |
établi en fonction de la grille d’analyse ci-dessous |
Durée estimée |
11 heures |
Temps estimé quasiment avec une boule de cristal, étant donné que je ne savais pas trop à quoi m’en tenir par rapport à la portion difficile |
Grille d’évaluation personnelle pour établir le niveau de difficulté
Distance |
Cote |
Dénivelé positif cumulé |
Cote |
|
1-4 km |
1 |
0-200 mètres |
1 |
|
5-8 km |
2 |
201-400 mètres |
2 |
|
9-12 km |
3 |
401-600 mètres |
3 |
|
13-16 km |
4 |
601-800 mètres |
4 |
|
17 km et + |
5 |
801 mètres et + |
5 |
|
Résultat de l’addition |
Niveau de difficulté |
|||
2 |
Facile |
|||
3 et 4 |
Facile-modéré |
|||
5 et 6 |
Modéré |
|||
7 et 8 |
Modéré-difficile |
|||
9 et 10 |
Difficile |
|||
Survol aérien
(et cliquez ensuite sur l’icône du petit avion)
Comme j’en ai pris l’habitude, je décris maintenant cette rando, étape par étape…
Étape préalable : se rendre sur la ligne de départ
La ride en auto pour me rendre au départ que j’avais choisi n’a pas été évidente pantoute… Ça a même été une aventure dans l’aventure…
Je m’étais levé très tôt, bien avant l’heure des coqs, pour être à cet endroit entre 5h00 et 5h30 du matin : tout près du point J, sur la carte officielle du Parc ; c’est-à-dire à l’intersection du chemin Trou du diable et du sentier SF-6.
J’ai toutefois failli ne pas me rendre jusque là – ça commençait ben !
On m’avait pourtant averti qu’un 4x4 était nécessaire pour parvenir à ce point de départ (10 km à partir de l’accueil). Mais comme je n’ai pas de 4x4, j’avais fait fi de ce conseil en espérant que mon char serait à la hauteur de cette tâche. Mazette ! Il a été heureusement à la hauteur, mais y’a fallu que je prenne mille précautions en roulant entre 10 et 25 km/hre dans la pénombre du soleil levant (surtout les deux derniers kilomètres !).
Une chance que j’avais prévu le coup en partant de chez moi pour me laisser un petit lousse. De cette façon, j’ai pu quand même arriver à l’heure que j’avais décidée, mais c’était moins une. Et sans rien casser à mon véhicule – un miracle.
1ère étape : le réchauffement de départ sur une pente sans cesse descendante
Distance : 2,0 km (le GPS m’en donnera finalement 2,25) |
Dénivelé positif cumulé approx. : 0 mètre |
Dénivelé négatif cumulé approx. : 108 mètres |
Le soleil encore bas dans le ciel – étant caché derrière les montagnes –, il faisait donc un peu sombre lorsque j’ai eu fini d’arrimer mon sac à dos sur mes épaules (5h15). J’ai pris le temps d’installer mon grelot anti-ours. J’ignorais totalement si les ours dormaient à cette heure-là, mais je voulais minimiser les risques d’en voir surgir un dans le clair-obscur !
Et go vers l’avant !
Cette première partie sur le SF-6 se fait en descendant légèrement sur tout son parcours. Il s’agit presque exclusivement d’une forêt de résineux. Cette étape s’est faite pout-pout dans le bois, sans histoires particulières à raconter. Et elle a pris fin à 5h52 à l’intersection du SF-6 et du chemin Arnold après 37 minutes de marche et 2,25 km à mon compteur GPS.
Pendant que je marchais de la sorte, tranquillement pas vite, je me préparais surtout psychologiquement pour la suite. Faut dire aussi qu’une promenade en solitaire dans le dark wood à cette heure matinale, « entre loup et chien », et loin de toute présence humaine, ben ça aide à se concentrer sur l’essentiel !
2e étape : la montée non-stop jusqu’au sommet du mont Gosford
Distance : 5,1 km (le GPS m’en donnera finalement 5,67) |
Dénivelé positif cumulé approx. : 602 mètres |
Dénivelé négatif cumulé approx. : 17 mètres |
Bon, à 5h52, le premier défi de la journée s’amorçait officiellement : la grimpée du mont Gosford… 5,1 km prévus de pente ascendante non-stop dans le bois.
Fini de se la couler douce. Et ça a commencé assez raide, merci. Ça s’est calmé un tout petit peu vers le milieu, mais pour reprendre de plus belle bien avant le sommet. Du bas jusqu’en haut, le dénivelé positif cumulé est grosso modo de 600 mètres, c’est-à-dire les 2/3 de tout le dénivelé positif cumulé de la journée. Personnellement, si j’avais eu à choisir, je l’aurais étalé un peu plus que ça tout au long du parcours, mais d’un autre côté : ce qui est fait n’est plus à faire, comme on dit. Mais quand même : sur le coup, c’est pas facile facile.
Pendant que je montais en soufflant comme un damné, je me demandais parfois dans quelle galère je m’étais embarquée. Si ce n’avait été que de cette portion de la rando, je ne m’en serais pas fait une miette – j’en avais vécu bien d’autres équivalentes. Mais je n’arrêtais plus de penser maintenant aux 6 km d’enfer qui m’attendaient apparemment dans quelques heures d’ici, et j’avais un peu de mal à rester stoïque, ce coup-ci.
Mais the show must go on, que je me disais aussi. Je m’étais préparé à cet événement depuis longtemps. Maintenant que j’y étais, il n’était pas question de renoncer avant même d’avoir commencé. Alors, haut les cœurs, Indiana Yvan !
Vers les 2/3 de cette montée (cumul de 5,28 km depuis le départ), le sentier se sépare en deux : le SF-6 continue en se dirigeant vers un parking qui se trouve 2,1 km plus bas, près de la cabane d’accueil. Pour ceux qui désirent se rendre au top de la montagne, il faut maintenant prendre le SF-8. Pour ma part, mon but n’étant pas un vulgaire parking, mais bien les sommets de l’Olympe (hi hi), j’ai poursuivi mon périple sur cette nouvelle trail, et toujours vers les cieux.
À noter : lorsque je suis parvenu à cette intersection, une pancarte bloquait le chemin duquel je venais tout juste de sortir. Il s’agit d’un avertissement pour les téméraires qui veulent s’aventurer dans cette zone sans trop savoir dans quoi ils s’embarquent :
Et après un effort très soutenu, je suis finalement parvenu en haut, là où est érigée une tour d’observation sur laquelle on a une vue imprenable sur 360 degrés. Après cette montée intensive d’une durée de 2h25, les vastes horizons de l’humanité étaient maintenant à mes pieds, comme je l’avais vécu en 2020 au même endroit.
Belvédère au sommet du mont Gosford et vue sur le lac Mégantic
Et en contemplant les vastes horizons de l’humanité en question, j’ai fait une petite pause-collation qui s’imposait. J’avais maintenant complété 7,1 km (7,96 d’après mon GPS) sur les 17,4 prévus, soit 41 %. Il était 8h17. À cette heure-là, y’avait pas un chat dans la place. Et c’était très bien comme ça. Et la température était encore potable.
Je n’y suis resté qu’une dizaine de minutes, par contre, avant de repartir pour la suite de cette aventure.
3e étape : vers la frontière américaine
Distance : 3,4 km (le GPS m’en donnera finalement 3,61) |
Dénivelé positif cumulé approx. : 196 mètres |
Dénivelé négatif cumulé approx. : 223 mètres |
J’avais fait cette portion-ci voilà trois ans : du sommet du mont Gosford jusqu’à la frontière américaine. J’étais donc maintenant en pays connu, si je puis dire, l’ayant décrite dans cette chronique-ci – s’y référer pour les détails. Mais je ne m’en souvenais que plus ou moins, faut croire, car je ne me rappelais plus à quel point elle était difficile dans sa dernière partie.
Il y a en effet un bon bout, entre le stationnement Clearwater et environ 500 mètres avant d’arriver à la frontière, qui comprend une montée extrêmement abrupte remplie de caillasse qui ne semble jamais se terminer…
Dommage que les photos ne rendent à peu près jamais convenablement ce que l’on voit.
Ici, par exemple, ça ne parait pas vraiment, mais ça montait pis pas à peu près
Juste dire aussi qu’une partie de ce sentier – surtout celui entre le mont Gosford et le petit Gosford – se fait en partie à travers un paysage de sapinages morts et desséchés.
D’après certains commentaires que j’ai lus sur Internet, y’en a qui n’aiment pas cette portion de la rando à cause, justement, de la vue de tous ces conifères secs. Pour ma part, j’adore ça. Question de goût.
J’ai pris mon temps pour ne pas épuiser mes forces, en prévision de ce qui m’attendait à la prochaine intersection. Mais ça n’a quand même pas été évident : la montée du mont Gosford en plus de celle que je viens de décrire dans les cailloux me vidaient peu à peu de mon énergie, j’avoue.
Et je suis finalement arrivé (talammmm !) à cette fameuse jonction du SF-1 et du SF-7 (la frontière canado-américaine) après un parcours de 3,61 km (sur mon GPS) depuis le sommet du mont Gosford.
J’ai commencé par m’asseoir sur la borne géodésique qui trône à cet endroit, le temps de prendre une petite collation rapide.
Il n’était que 9h50, et en dépit du fait que j’avais petit-déjeuné très tôt et que j’avais dépensé une somme considérable d’énergie, je n’avais pas très faim, étrangement.
À ce stade-ci, j’avais complété 60 % de ma rando (10,5 km prévus sur 17,4 prévus au total). Mais le reste allait, semblait-il, équivaloir minimalement au double des efforts que je venais de fournir. Sinon plus. J’aurais donc eu intérêt à me remplir la panse dès maintenant, mais j’ai néanmoins préféré attendre.
Et j’avais également intérêt à réfléchir une dernière fois avant de m’élancer de nouveau dans cette nouvelle section, car j’étais réellement rendu au point de non-retour.
Il était encore temps de faire demi-tour, en effet. Si je prenais l’initiative de refaire mon chemin en sens inverse, j’aurais alors quand même une journée de 23 km à mon actif. Une distance que j’avais déjà parcourue et que je savais être en mesure d’assumer. Surtout que la majeure partie consisterait à redescendre le mont Gosford. Je reviendrais à mon auto vers 15h00-15h30, je réintégrerais mes pénates, et je tournerais la page de cette aventure avortée.
Mais en continuant sur ma lancée initiale, je m’enfonçais par contre dans l’inconnu avec le risque de passer une nuit à la belle étoile dans la nature sauvage, avec simplement une couverture de survie et un couteau de chasse pour tout matériel de camping.
Mais je parle pour ne rien dire…
Je parle pour ne rien dire, oui, car même si j’ai l’air d’avoir tergiversé, comme ça, assis sur ma balise géodésique, à hésiter sur ce qu’il convenait de faire, je n’étais aux prises avec aucune tergiversation. Je ressentais seulement, peut-être, une petite dose d’adrénaline au creux de l’estomac avant de m’élancer, mais sans plus. Je fais semblant d’avoir fafiné juste pour mettre une touche mélodramatique à cette histoire – un peu comme le font les journaleux lorsqu’ils transforment une anecdote extrêmement banale en un événement qu’il nous fut absolument considérer comme extraordinaire et catastrophique.
Je ne me suis pas attardé à cet endroit, du reste : pas plus d’une dizaine de minutes en tout et pour tout. Il était exactement 9h58 lorsque j’ai résolument tourné le dos au SF-7 (mon itinéraire de 2020) et que je me suis enfoncé dans le SF-1, direction nord-est.
Alea jacta est.
Selon mes calculs (très théoriques), j’en sortirais à la fin de l’après-midi, vers 16h00 au plus tard, mettons. Si je n’étais pas mort avant ça, ha !
4e étape : la section « à niveau de difficulté très élevé »
Distance : entre 5,8 km et 6,1 selon les sources (le GPS m’en donnera finalement 7,23) |
Dénivelé positif cumulé approx. : 164 mètres |
Dénivelé négatif cumulé approx. : 483 |
Ce n’était pas pour rien que j’avais décidé de faire cette rando dans le sens contraire des aiguilles d’une montre. Sur la carte, on voyait bien que, dans cette direction-là, ça descendait davantage que ça montait : 164 mètres de dénivelé positif cumulé approximatif contre 483 dans l’autre sens. Ce qui n’était pas négligeable pantoute.
N’en reste pas moins que ça n’a pas du tout été gagné quand même. Cette piste porte effectivement très bien son nom. Elle n’est pas du tout faite pour les randonneurs qui n’aiment pas se donner de la misère.
Comme je le disais, ce sentier est la frontière canado-américaine. On marche tantôt du côté du Canada (à gauche), et tantôt du côté des États-Unis de Donald Trump (à droite). Le tracé des Sentiers frontaliers nous en fait toutefois sortir de temps en temps pour nous aider à franchir certains obstacles (quasi) insurmontables.
Car des obstacles (quasi) insurmontables, il n’en manque pas…
Notre chemin est en effet souvent coupé par des falaises de rocs qu’il nous faut soit monter soit descendre, alternativement. Et celles-ci me sont apparues justement très rapidement – pas très loin du départ –, et elles se sont présentées à moi sous deux différentes formes : 1) des gouffres qui s’ouvraient sous mes pieds – en provoquant quelques moments de vertige ; 2) des murailles dont certaines paraissent de prime abord infranchissables.
J’ai pris des photos (voir le diaporama à la fin de cette chronique), mais aucune ne rend vraiment – même minimalement – la réalité qui est parfois impressionnante. Ce qui est très dommage.
Ce qui rend ce sentier si difficile, à part ses dénivellations abruptes et ces immenses caps de roches qui n’en finissent plus, c’est qu’il n’y a pas beaucoup de sentiers tracés, justement. Le sentier, c’est la frontière. Et la frontière, comme je l’ai déjà expliqué dans d’autres chroniques, c’est une coupe à blanc qui a été effectuée dans le bois, jadis. Et il n’y a pas beaucoup de traces sur le sol qui nous indiquent le chemin à emprunter pour franchir les obstacles. Il m’est arrivé à quelques reprises de tergiverser, en allant de l’avant et en revenant sur mes pas, pour me faire une idée du meilleur moyen de monter ou descendre une falaise.
Et ce sol est rempli de pierres et de trous que l’on a du mal à voir à cause des arbustes desséchés et de l’herbe folle qui poussent partout. Parait même qu’en plein été, les fougères s’élèvent jusqu’au niveau de la poitrine des randonneurs.
Photo truquée
En passant, peu importe les conditions météo, il est préférable de ne pas se promener là-dedans en short, car c’est pas long que les broussailles vous grafignent les jambes au sang.
Ce qui ne m’est pas arrivé – saigner –, car fort de mon expérience dans les Sentiers frontaliers, j’avais anticipé le coup !
Petites précisions supplémentaires… Ceux qui désireraient se taper cette piste, il faut également prévoir deux autres choses très importantes : une bonne ration de liquide, car il n’y a aucun point d’eau nulle part ; et aussi un couvre-chef. Étant donné qu’on avance presque tout le temps dans un espace entièrement dégagé, il y a très peu d’arbres pendant 6 km pour se protéger du cagnard. Et des journées sans beaucoup de nuages, comme il a fait aujourd’hui, ben ça fesse sur le coco – surtout un coco comme le mien…
Pis comme je l’ai précédemment mentionné, y’a des places – plus d’une douzaine (mais je ne les ai pas comptées) où ça demande même de faire de l’alpinisme. J’exagère un peu, bien sûr (pour l’alpinisme), mais ces murailles existent bel et bien.
Certaines sont toutefois tant bien que mal contournables en quittant la frontière et en s’enfonçant dans la forêt pour les prendre à revers. Mais ce n’est quand même pas du tout gagné d’arriver en haut – ou en bas !
Pour résumer le tout : oui, c’est une piste assez heavy. Mais elle a été moins difficile que je l’avais imaginé. L’affaire, c’est que je m’étais attendu à… je sais pas, moi… à quelque chose comme… comme l’Everest ? Il faut par contre être (bien) entrainé, c’est sûr. Mais il faut surtout ménager ses forces ; c’est-à-dire ne pas aller trop vite, même si on avance à pas de tortue et que ça semble interminable par bout (et de là l’importance de partir tôt pour ne pas sentir de pression). Et une autre raison pour ne pas aller trop vite, c’est pour ne pas risquer de se blesser, car on ne voit pas trop où l’on dépose les pieds à cause de toute cette végétation.
Une piste absolument magnifique, sinon. Avec d’innombrables vues imprenables sur des dizaines de kilomètres à la ronde, tant au Québec qu’aux USA. Ça compense de beaucoup les petites souffrances que l’on endure.
Une piste, finalement, qui nous fait expérimenter la sensation extatique d’être l’unique être humain vivant sur la Terre (quand on est seul dedans, bien entendu – comme je l’ai été pendant la moitié du trajet). Et ça, ça vaut son pesant d’or de temps à autre.
Parlant de solitude… À la moitié du parcours, j’ai rencontré les deux seuls êtres humains de toute cette journée : Françoise et Patricia, deux très sympathiques aventurières qui faisaient l’EBR (l’Expédition des Braves Randonneurs) – édition 2023 – organisée par les Sentiers Frontaliers.
J’ai fait le saut de les voir apparaitre là, en plein milieu de nulle part…
Devant moi, il y avait une falaise qui descendait abruptement et qui remontait aussitôt tout aussi abruptement. Elles étaient sur l’autre versant. Elles m’ont vu et attendu. Et j’ai fait le reste de cette portion avec elles. Deux bonnes marcheuses en passant : ce n’est pas rien, en effet, de se taper ce sentier avec un sac à dos rempli de matériel de camping, en plus !
Avant de terminer cette section, un mot sur le fameux « Trou du Diable ».
Ça, mes amis, c’était quelque chose. C’était mon dernier gouffre avant de sortir de cette portion et de retourner à mon char. Mais non le moindre !
Le Trou du Diable est une énorme entaille dans la montagne. Quand on arrive au bord du précipice, on ravale difficilement un motton en sachant qu’on doit descendre là-dedans – et remonter de l’autre côté ! J’ai pris une photo, mais comme d’habitude, ça ne donne pas du tout le réel visuel de la chose. Faut être physiquement là, en chair et en os, sur le bord de l’abyme, pour apprécier toute la majesté des lieux.
Heureusement, les Sentiers Frontaliers ont tracé un parcours parallèle à la frontière pour nous aider à descendre là-dedans, pis à en remonter. Mais même à ça, c’est pas rien, et il faut s’agripper après tout ce qui se trouve à notre portée pour ne pas dégringoler en bas.
Et rendu là, en bas, l’atmosphère faisait très sauvage du fait que quelques bancs de neige (c'était mai) reposaient à travers de gros rochers entre les deux escarpements à pic de chaque côté.
Et ensuite, c’est la dure remontée très pentue jusqu’à l’embranchement du SF-6.
Et voilà pour cette portion épique…
Ça a sans doute été l’un de mes bouts de randonnées les plus difficiles depuis très longtemps, pour moi aussi, mais l’une de mes plus belles expériences de marcheur dans la nature en même temps.
Et même si ça a été (un peu) moins pire que je m’en attendais, il était quand même temps que ça finisse pour aujourd’hui. Car plus ça allait, et plus le vieil homme que je suis commençait à avoir les genoux et le dos en compote.
Alors, quand je suis parvenu à l’intersection du SF-6, là où je devais tourner et quitter le SF-1 – qui continuait sa route vers le nord pour sa part (mais plus doucement) –, ben j’étais content en titi. Pis j’étais fier comme un paon d’en être venu à bout sans plus de difficultés !
Il était alors 13h26. Ce qui m’a pris 3,5 heures pour parcourir les derniers 7,23 km à mon compteur GPS (plutôt que les 6,1 prévus)
Les différentes personnes qui l’avaient fait avant moi mentionnaient que ça leur avait pris entre 3 et 11 heures (!) pour parcourir ces 6 km. Pas très précis, ça, pour se faire une idée pour soi-même avant de partir. Pour ma part, en étant très pessimiste, j’avais estimé que mon propre temps, au pire, ne dépasserait sans doute pas 6 heures, ou dans ces eaux-là. Ça s’est donc passé pas mal plus rapidement que j’avais escompté.
Une vitesse moyenne de marche de 2,09 km à l’heure, par contre (incluant 38 minutes d’arrêt ici et là). Ouf ! Dire que sur la rue, j’avale cette même distance en une heure à peine…
5e étape : la courte descente finale
Distance : 1,1 km (le GPS m’en donnera finalement 1,25) |
Dénivelé positif cumulé approx. : 0 mètre |
Dénivelé négatif cumulé approx. : 120 mètres |
C’est ici que j’ai quitté mes deux compagnes d’aventure qui allaient passer la nuit au camping du Trou du Diable, situé juste là, à cette intersection.
Quelle idée brillante j’avais eue d’avoir stationné mon char à l’endroit où je l’avais laissé le matin ! Et ce, même si j’avais failli le casser avant mon arrivée.
Après avoir abandonné le « sentier de la mort » derrière moi, il ne me restait qu’une balade d’un seul vulgaire kilomètre à faire pout-pout dans le bois dans une pente légèrement descendante. Même si mes pauvres genoux criaient grâce, j’étais le plus heureux des hommes.
— C’EST-Y PAS ASSEZ BEAU, LA VIE ? que j’avais envie de crier aux tits zoiseaux qui gazouillaient autour de moi et qui se foutaient de ma présence et de mon tout récent exploit comme de leurs premières plumes.
Je suis arrivé sur la ligne de fin à 13h49, très exactement.
Mot de la fin
Et voilà ! Mission accomplie. Un autre petit défi que je viens de rayer de ma liste. Le prochain sera-t-il de faire la même trail, mais dans le sens contraire ? Pourquoi pas ? Mais pas avant quelques jours, en tout cas. Ha !
Distance selon le tracé initial |
17,4 km |
Distance finale parcourue selon GPS |
20,0 km |
Heure de départ |
05h15 |
Heure de retour |
13h49 |
Temps total |
8h34m |
Temps de marche |
7h33m |
Temps d’arrêt |
1h01m |
Vitesse de marche (moyenne) |
2,66 km/hre |
Vitesse incluant les arrêts |
2,34 km/hre |
Une balade qui en vaut vraiment la peine. Pour le défi sportif, évidemment, mais aussi pour le superbe environnement sauvage de ce coin-là. À faire absolument pour ceux qui s’en sentent capables physiquement, et pour ceux qui ne craignent pas la solitude – mais si c’est le cas, allez-y à deux ou plus.
Ne manquez pas le diaporama-photos musical de cette rando ci-dessous.
À un prochain rendez-vous dans la nature, mais de façon un peu plus relax, cette fois, probablement !
DIAPORAMA-PHOTOS MUSICAL DE CETTE RANDO
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