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Lundi, le 15 juin 2020

À part les gens de la place, je suis pas mal sûr que y’a pas grand-monde qui connait cette montagne – le mont Gosford – ni la ZEC Louise-Gosford dans laquelle elle se trouve, en Estrie.

Et pourtant, avec ses 1193 mètres, le mont Gosford fait partie des plus hauts sommets du Québec. J’hésite toutefois à donner son rang exact parce que cet aspect-là n’est pas clair pantoute sur Internet : Wikipédia lui attribue 1180 mètres d’altitude, alors que les responsables de la ZEC assurent, eux, qu’il en fait bel et bien 1193 (et je crois que ce sont eux qui ont raison).

Dans ce cas, dépendamment de celui qui détient la vérité, il arriverait au 19^e rang ou au 20^e (quelques-uns disent même au 21^e…)

Pour en remettre une couche sur la confusion, le site touristique de la ZEC avance quant à lui qu’il « constitue le 7^e plus haut sommet du Québec ». Vraiment bizarre, ça. Car cette fois, il y a une méchante différence entre la 7^e position et la 19^e (ou la 20^e ou la 21^e). Bref, c’est comme pour les chiffres de la covid : tous les « experts » y vont de leurs petits chiffres personnels pis on ne sait plus qui croire.

En tout cas, une chose est sûre, il est dans le top 5 des plus hautes montagnes québécoises du sud du Saint-Laurent – les plus hautes au nord du fleuve se trouvant quant à elles dans la chaine des Torngat, dans le Grand Nord du Québec.

Cela dit, ce qui m’a frappé au premier coup d’œil, lorsque j’ai observé cette montagne pour la première fois graphiquement du haut des airs, c’est sa forme bizarroïde de bibitte à pattes multiples : elle m’a tout de suite fait penser à une amibe…

Montea Gosfordeus Amobea Proteus

Pis elle m’a attiré comme un aimant.

* * * * *

Avant de décrire mon aventure sur cette montagne, je localise précisément les lieux où elle se trouve…

Il faut tout d’abord parler de la ZEC (Zone d’Exploitation Contrôlée) Louise-Gosford qui se trouve en Estrie dans deux « hernies » qui empiètent sur le territoire américain. Elle est séparée en deux par une distance de 6 km ; les deux parties étant respectivement nommées « Secteur Louise », au nord, et « Secteur Gosford », au sud. Ces deux noms – Louise et Gosford – étant dus aux noms des plus hautes montagnes se trouvant dans leur secteur respectif.

Le mont Gosford se trouve évidemment dans le Secteur Gosford, au sud, et il s’élève à une trentaine de kilomètres au sud de la ville de Lac-Mégantic à vol d’oiseau.

Tout le côté sud et oriental du Secteur Gosford est délimité par la frontière canado-américaine.

Et cela est à prendre au sens littéral : le sentier qui longe une bonne partie de ce côté-là de la ZEC fait en effet lui-même fonction de frontière : d’un côté du sentier, c’est le Canada de Justin Egoportrait Trudeau, et de l’autre, ce sont les États-Unis d’Amérique de Donald Trump.

Spécial, non ? Mettez-en. J’y reviendrai, c’est sûr, puisque j’ai marché dessus en personne.

Mais avant, je veux juste mentionner que le mont Gosford a failli s’appeler le mont « Archibald Acheson, 2^e comte de Gosford et baron Worlingham de Beccles ». Mais heureusement, ils ont coupé dans le gras et n’ont retenu que le nom de Gosford. Fiou…

Ce machin Gosford était un aristocrate anglais (d’Angleterre), et il a été gouverneur général du Haut et du Bas-Canada de 1835 à 1838.

En passant, c’est lui qui a maté la fameuse rébellion des Patriotes de 1837.

Encore un Anglais, donc, qui nous a battus à plates coutures et à qui, pour l’honorer, on a attribué un lieu à son nom. Ça aussi, c’est bizarre, mais c’est apparemment l’une de nos coutumes. Comme quoi nous ne sommes pas très rancuniers – ou que nous sommes bonasses.

* * * * *

Le Secteur Gosford – on dit aussi « territoire » Gosford – est sillonné de plusieurs sentiers pédestres. Comme de raison, pour me prouver que je suis encore un jeune homme dans la fleur de l’âge, j’ai choisi de me taper le plus long et le plus difficile de tous ceux proposés par le site : celui qu’ils appellent la « Boucle du Cap-Frontière » et qui est composé des pistes 1 et 7 (l’encadré en rouge dans le tableau ci-dessous) :

En fait, pour être honnête, il existe une piste qui est apparemment pas mal plus heavy que toutes celles mentionnées dans ce tableau. Elle est clairement indiquée sur la carte (secteur que j'ai encerclé en jaune) :

Je sais pas trop pourquoi ils ne la proposent pas sur le site. Peut-être parce qu’elle est réservée à l’élite des randonneurs aguerris (et j’ai justement lu le compte-rendu d’un jeune randonneur aguerri qui a confirmé que cette piste de 6,1 km n’était vraiment pas de la tarte). Il n’est quand même pas dit que je n’y retournerai pas un jour pour l’essayer. Mais pour le moment, je reviens à mon petit défi personnel de 17,7 km de long. Ce qui n’est pas rien non plus.

Plan de match de la journée :

- Traverser le territoire d’ouest en est via le sentier 1 – et via aussi le sommet du mont Gosford.

- Une fois rendu sur la frontière américaine, emprunter la piste 7 (en bleu sur la carte), qui fait une boucle, et qui nous ramène sur le sentier 1.

- Revenir à l’auto par le même sentier qu’au début.

Vous avez compris ? Sinon, suivez simplement les flèches jaune fluo sur la carte ci-dessous :

Pour me rendre à mon point de départ, j’ai payé mon admission au centre d’accueil au nord-ouest de la ZEC.

J’ai ensuite roulé pendant 6 km sur une trail de gravelle jusqu’au stationnement 1. C’est là que je me suis parké, que j’ai arrimé mon sac à dos sur mes épaules, que j’ai déposé ma casquette sur ma tête pis que je me suis mis vaillamment en route.

Il était 8h15 du matin – l’avenir appartient aux lève-tôt, qu’on dit. Il faisait 11º, et Miss Météo annonçait qu’il allait faire environ 20º dans le milieu de la journée avec une alternance soleil-nuages. Temps quasi idéal pour ce genre d’activité. Sauf pour les bibittes qui sont habituellement très voraces en ce temps-ci de l’année

Mais je me suis enduit d’un produit qui devait les faire fuir en principe.

Ah oui : j’ai aussi enfilé mon super-grelot-anti-ours.

Et go vers de nouvelles aventures !

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1^ère étape : se rendre tout en haut du mont Gosford.

On fait ça en s’enfonçant dans une sorte de vallée qui monte tout le temps. Ça monte passablement pout-pout au début (pour nous acclimater, je suppose) ; puis de plus en plus abruptement dans la caillasse au fur et à mesure que l’on avance. Pis arrive un temps où c’est très évident qu’on grimpe une montagne.

Mais bizarrement, ça se calme un peu juste avant d’arriver au sommet.

Du parking jusqu’au sommet, cette marche dans la forêt est longue de 4,2 km ; et la dénivellation est de près de 510 mètres.

Est-ce que c’est difficile ? Je ne peux évidemment pas répondre à cette question-là, car ça dépend de l’entrainement de chacun. Mais je dirais que ça se fait relativement bien pour peu qu’on soit relativement en forme. Comme quoi, tout est relatif ! Ha !

Sans blague, plein de gens de tous les âges le font – même des enfants –, alors, je vois pas trop où serait le problème. Bien sûr, pour les gens de mon âge, il suffit d’y aller mollo, un petit pas après l’autre, petit train va loin, pout-pout, et puis voilà.

Bon, après une grimpette soutenue de 1 ½ heure entrecoupée de nombreuses pauses kodak, j’y suis parvenu. Et en haut, ça a évidemment été la récompense : un belvédère nous permet d’avoir une vue imprenable à 360º.

De toute beauté. On a entre autres une vue sur le lac Mégantic sur le mont Mégantic et même sur la ville de Lac-Mégantic.

Comme on voit, le mot « Mégantic » est à l’honneur dans ce coin-là. En passant, ce mot – Mégantic – vient apparemment du mot abénakis « namesokanjik » qui veut dire : « lieu où se tiennent les poissons ». Je ferme la parenthèse et je reviens à mes poissons… à mes moutons… Je suis resté là pendant une dizaine de minutes à m’extasier tout en croquant une pomme et des photos, et j’ai repris ma route.

Avancer, avancer… Toujours plus loin…

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2^e étape : se rendre à la frontière américaine.

En marchant vers cette frontière, on passe par un 2^e sommet : le « Petit Gosford » qui, comme son nom le dit, est moins élevé en altitude que son grand frère.

Le problème c’est que, quand on arrive en haut, on est en pleine forêt et on n'a aucune vue sur rien. On devine qu’on a réussi à parvenir à son sommet grâce à une pancarte qui nous l'indique. Un autre moyen de le savoir, c'est d'être attentif au moment où l'on arrête de monter pendant un court moment pis qu’on se met à redescendre.

Parlant de montée et de descente, entre le mont Gosford et le Petit Gosford, il faut descendre et remonter. Pis à partir de là, pour parvenir à la frontière, il faut également descendre et remonter. Et on fait ça pendant 3,5 km en tout. Si vous n’aimez pas descendre et remonter, ben il ne faut pas faire de la randonnée pédestre dans ce coin-là !

Cette piste jusqu’à la frontière est pas mal toujours dans le bois. Et entre les deux – à peu près en son centre –, on passe dans un camping sauvage qui n’est rien d’autre que des plateformes de bois pour installer nos tentes. J'imagine que l'endroit doit être sympathique, le soir, loin de tout.

Et après une montée passablement difficile dans la caillasse, et ensuite une petite marche pout-pout sur une sorte de plateau, on arrive un moment donné à la fameuse frontière. Et je dirais même plus : on arrive à une intersection stratégique :

- à gauche, c’est la continuation de la piste 1 vers le nord ; celle dont j’ai fait précédemment mention et qui passe par la fameuse « section à niveau de difficulté très élevé » ;

- à droite, c’est le début de la piste 7 qui descend vers le sud et qui nous ramène à notre point de départ en faisant une boucle.

Fidèle à mon plan de match, j’ai pris à droite, sur la 7.

* * * * *

3^e étape : marcher sur la frontière canado-américaine.

Ça, mes amis, je vous avoue que j’avais hâte d’y arriver, à cette intersection des pistes 1 et 7. Pourquoi ? Ben, parce que, à partir de là, je savais que j’allais maintenant marcher drette sur la frontière canado-américaine, pis ça m’intriguait.

Allait-il y avoir là une clôture électrifiée de trois mètres de haut avec des caméras partout ? Est-ce que ça allait ressembler à un mur comme celui qui sépare les États-Unis du Mexique ? Allait-il y avoir des miradors ? Allais-je rencontrer des douaniers avec des bergers allemands tenus difficilement en laisse ?

Ben quoi ? C’est une frontière ou non ?

Bref, le moment tant attendu était arrivé : j’y étais parvenu. Et avant d’entreprendre les prochains 1,9 km qui m’attendaient, j’ai pris le temps d’observer ce qu’il en était exactement.

Eh bien, il n’y avait pas de clôtures électrifiées de trois mètres de haut, ni miradors, ni gardiens avec des chiens méchants… Il n’y avait qu’une longue allée déboisée de quelques mètres de large s’étendant à l’infini.

Ça ressemblait un peu aux coupes à blanc que les Attila d’Hydro-Québec savent si bien le faire lorsqu’ils s’enfoncent dans les forêts avec leurs gros sabots. Sauf qu’ici, il n’y avait pas de lignes hydroélectriques. Il n’y avait rien. À part des bornes pratiquement invisibles par terre, dans la broussaille.

En passant, j’ai su la raison pour laquelle la frontière passait ainsi, un peu n’importe comment, à travers les forêts et les montagnes. Évidemment, ce n’est pas du tout aléatoire.

Ce qui délimite ainsi la ligne entre nos deux pays – du moins dans cette région –, c’est ce qu’on appelle « la ligne de partage des eaux ». Ça a donc rapport avec le réseau des bassins hydrographiques de ce bout de continent.

Ainsi, pour faire simple, tous les cours d’eau qui s’écoulent de notre côté de cette frontière le font vers le fleuve Saint Laurent ; et tous les cours d’eau qui s’écoulent de l’autre côté le font vers l’océan Atlantique. La frontière chemine donc tout le temps sur une crête de chaine de montagnes

Voilà pour cette capsule instructive.

Cela dit, j’ai commencé à marcher vers le sud en me demandant s’il y avait des caméras cachées quelque part. Sûrement que oui, que je me disais. Sinon, ce coin de pays serait une véritable passoire à clandestins, à drogues et à contrebandes de toutes sortes.

Mais après avoir scruté la forêt de chaque côté de mon avancée, j'ai fini par admettre que des caméras, il ne semblait pas y en avoir nulle part. De tout façon, d'après ce que j'observais, pour venir à bout de pénétrer dans cette barrière infranchissable de sapins et d'épinettes tricotés serrés, ça prendrait un matériel de la mort – genre des abatteuses et des débusqueuses de compagnies forestières !

Et c’est comme ça, après une très courte promenade d'environ 500 mètres sur un terrain légèrement descendant, que je suis parvenu au fameux « Cap-Frontière » auquel on doit le nom de ce sentier. Cap ainsi nommé parce qu’il coupe – littéralement – la ligne de la frontière en deux de par sa muraille de granit.

Vue sur le Cap-Frontière après l'avoir descendu

Il s’élève à 1154 mètres d’altitude et il permet d’embrasser du regard les vastes étendues du Maine sur une distance allant de 0 mètres devant nous (zéro, oui, puisque nous sommes toujours sur la frontière) jusqu’à plusieurs dizaines de kilomètres.

J’ai lunché là, le cul inconfortablement assis sur une borne géodésique plate collée sur le sol en guise de banc : la fesse droite au Canada et la gauche aux États-Unis. J'ai vaguement espéré ressentir quelque chose d'extraordinaire dans ma tête de me savoir là, le séant déposé sur cet endroit stratégique de la géopolitique. Mais il ne s'est rien passé de particulier. Peut-être parce je n’y suis pas resté assis suffisamment longtemps – une quinzaine de minutes à peine – à cause des moustiques sanguinaires.

Et j'ai repris mes cliques pis mes claques pour une longue descente et une longue remontée dans ce corridor sauvage jusqu'à ce que la piste 7 quitte la frontière pour retourner à l’intérieur du Canada, quelque part à droite.

* * * * *

4^e étape : revenir sur la piste 1 et, à partir de là, revenir au stationnement et regagner mes pénates.

Cette deuxième et dernière partie de la piste 7 se fait essentiellement dans le bois et dans une vallée – on descend dedans aussitôt que l’on quitte la frontière. Elle s’étend sur 4,9 km, et une bonne partie est en fait une piste de VTT. Personnellement, je l’ai trouvée un peu ennuyeuse, sauf aux endroits où elle se transformait en mares de boue ou carrément en ruisseaux, et où j'ai pu jouer les Indiana Jones en me mouillant les pieds à quelques reprises…

(En fait, une fois revenu dans mes pénates, je me rendrai compte que je me suis fourvoyé quelque part. J'ai en effet loupé le sentier à un quelconque endroit, ce qui m'a fait marcher dans cette flotte alors que je me serais épargné cette peine si j'avais fait réellement attention aux balises. J'ai quand même été chanceux de rejoindre mon sentier initial un peu plus loin.)

Pour les derniers 1,2 km de cette piste 7, et peu après avoir traversé le ruisseau Clearwater, il faut monter un col pas mal à pic afin d'aller rejoindre la piste 1 dont l'intersection se trouve à moins de 0,9 km du belvédère en haut du mont Gosford. Un fois là, j'aurais donc très bien pu m’y rendre une deuxième fois, mais j’ai plutôt tourné à gauche et j’ai entrepris la longue descente de 3,3 km vers le parking. Ce qui s’est fait les deux doigts dans le nez malgré mes genoux qui commençaient à avoir hâte de se reposer un peu, eux.

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Voilà ce qui complète cette petite rando que je recommande à tout le monde surtout pour le défi physique qu’elle oblige à relever.

Les points de vue intéressants sont :

- le belvédère en haut du mont Gosford

- le sentier qui sert de frontière canado-américaine

- le point de vue du Cap-Frontière

J'étais parti à 8h15. Je suis revenu à l'auto à 14h45. Une petite trotte de 6,5 heures, donc, incluant tous les arrêts.

Personnellement, j’ai beaucoup apprécié de n’avoir rencontré presque personne de toute la journée. De m’être retrouvé avec ce sentiment de totale solitude dans cette belle nature, ça, mes amis, ça vaut son pesant d’or (en plus que j’ai pu respecter bien malgré moi cette règle parfaitement débile de « distanciation sociale », ha !).

À une prochaine balade !