2014-02-15 --- Une virée dans les nakamals
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De : Yvan – Nouméa
Date : samedi, 15 février 2014
À : parents et amis
Bonjour à tous,
Avant d’entrer dans le vif du sujet, j’ai une précision à apporter. Il semble que le contenu de ma chronique précédente n’avait pas tant à voir avec la Nouvelle-Calédonie qu’avec la France.
Tout ce que je vous ai raconté : les autos qui se garent n’importe comment, les ronds-points, les dos d’âne, les caissières d’épicerie qui sont assises à longueur de journée et la façon de payer par chèque au comptoir des commerces... m’enfin bref, tout ça, eh bien, ça ressemble apparemment beaucoup à la France.
Ça se comprend facilement, étant donné que la Nouvelle-Calédonie est une... une quoi, déjà ? Vous vous rappelez ? Ben oui : une Collectivité sui generis d’Outre-mer... ou un POM (Pays d’Outre-mer), si vous préférez. En d’autres termes, c’est une sorte de territoire français (du moins, pour le moment encore). Il y a donc plein de Français, ici. Et ceux-ci ont évidemment apporté leur culture et leurs comportements dans leurs bagages lorsqu’ils ont pris l’avion.
Vous allez me dire, dans ce cas-là, que ça ne valait pas la peine de traverser la moitié de la Terre pour écrire sur les Français ; et surtout que ça ne fait pas très exotique. Et je vois même déjà certains d’entre vous qui s’apprêtent à exiger un remboursement.
Minute, groupe ! On se calme...
Premièrement, je ne fais que vous décrire ce que je vois, moi, en fin de compte. Et ce n’est pas de ma faute si la capitale calédonienne est plus ou moins européenne. Ensuite, je me reprends aujourd’hui avec mon nouveau sujet : le kava et les nakamals. Ça, je peux vous garantir qu’il n’y en a pas en France, de ces trucs-là. Le kava est même formellement interdit là-bas. Vous êtes donc sur le point de lire une véritable chronique d’outre-mer – et d’aventure... hooooouuuuu.....
À ceux qui me rétorqueront qu’il y a un Nakamal dans la ville de Lyon, en France, je leur répondrai illico que ce n’est pas du tout la même chose... Ce Nakamal-là s’écrit avec un N majuscule et c’est simplement le nom d’un café-restaurant banal. Ce qui n’a strictement rien à voir avec mon propos d’aujourd’hui.
Non, je vous parle, moi, des nakamals de la Nouvelle-Calédonie, issus originalement du Vanuatu, où l’on sert des kavas pour la modique somme de 100 francs du Pacifique chacun (environ 1,25 $). Un deal.
Mais une chose à la fois. Je m’emballe. Commençons par le commencement. Qu’est-ce que ça mange en hiver, ça, le kava ? Ça ne mange rien du tout en hiver. Ça se boit, plutôt.
À la base, le kava est une plante. Une plante apparentée au poivrier. Son nom scientifique est Piper methysticum (« poivrier sauvage »). Il ne pousse qu’au Vanuatu, à Wallis et à Futuna (des îles voisines de la Nouvelle-Calédonie).
La plante elle-même n’est pas grande, mais son rhizome est énorme. Et c’est à partir de ce rhizome que la boisson traditionnelle (appelée « kava », comme la plante) est fabriquée. Ils commencent par sécher le rhizome et le réduire en poudre. Ils trempent ensuite le tout dans l’eau avant de passer la pâte dans un mixeur et un filtreur. Ils font ça plusieurs fois de suite. En gros, c’est ça.
Paraît qu’avant, ils commençaient par mâcher le rhizome et qu’ils le recrachaient avant de procéder au reste de la fabrication. Mais ils ont apparemment arrêté ça... Ça m’a soulagé de l’apprendre, car j’y avais déjà goûté plusieurs fois avant de savoir ça...
Le liquide en tant que tel est de couleur brunâtre. Ce n’est pas ragoûtant, je vous l’accorde. C’est servi dans une demi-noix de coco appelée shell – on peut aussi prononcer « sell ». Ça se boit d’un trait, cul sec. On jette la dernière goutte par terre, pour la laisser aux esprits. On peut ensuite se rincer la bouche – afin de faire passer le goût – et cracher le tout. Il y a des éviers prévus à cet effet.
Ça ne goûte pas très bon, je vous le dis tout de suite. C’est genre saveur de terre ou d’argile. Et immédiatement après avoir bu, on a une sensation bizarre dans la bouche : comme si on commençait à ressentir les effets de la piqure chez le dentiste. Et effectivement, la bouche est instantanément anesthésiée (pas trop quand même ; juste un peu). Les deux – goût dégueu et sensation d’anesthésie – disparaissent au bout de dix-quinze minutes environ.
Bon, cela dit, sans doute vous demandez-vous c’est quoi le trip de boire cette mixture qui a mauvais goût ? J’en vois personnellement trois raisons...
Premièrement, pour moi, une des raisons, c’est « l’expérience ». Que voulez-vous, j’aime ça, moi, faire des ’tites expériences de ce genre-là – et vous les faire partager.
Ensuite, il y a les vertus du kava. C’est une boisson qui a des propriétés anesthésiantes et euphorisantes – genre anti-dépresseur. Bon, ça y est ! Ah mes snoreaux, je vous entends d’ici vous exclamer : « Ha ha ! Des effets genre cannabis, aussi, sans doute ! » Et moi, de vous répondre tout de go : « Ben non, ben non... ». En fait, ça ne fait que détendre, relaxer – that’s all...
OK, OK, il paraît qu’à très fortes doses, il peut y avoir des effets hypnotiques. Mais ça, j’en sais rien. Juste pour commencer à ressentir l’effet anesthésiant et euphorisant dans sa tête, il faut en prendre au moins trois ou quatre. Et je ne me suis jamais rendu jusque là. La dose la plus forte que j’ai prise en une seule soirée, c’est deux shells. Et ça ne m’a absolument rien fait.
Mais la principale raison pour laquelle on boit du kava, c’est pour le boire aux endroits où ils servent le kava. C’est-à-dire dans les nakamals... Les nakamals, les amis, c’est ça le véritable trip du kava.
Le vrai nakamal est quelque chose qui existe, à la base, dans l’état voisin du Vanuatu. C’est un espace communautaire et symbolique réservé uniquement aux hommes, qui s’y rendent le soir venu pour y discuter entre eux en buvant du kava. En traversant la frontière du Vanuatu, les nakamals ont (heureusement) perdu leur caractère exclusivement masculin. Et ils ont même un peu évolué en autre chose...
En Nouvelle-Calédonie, les nakamals sont aujourd’hui des lieux de rencontres dans des atmosphères très soft. Il y en a de tous les styles : du plus design et sympathique au plus craignos et crado.
Le dénominateur commun de tous les nakamals, c’est leur ambiance et leur façon de fonctionner : tu entres, tu t’installes quelque part, tu discutes entre amis, tu te lèves, tu vas boire un kava, tu reviens t’asseoir, tu discutes entre amis, tu te relèves, tu vas reboire un kava, etc. Personne ne te demande rien. Il n’y a qu’un employé, et il reste derrière son bar. Il sert du kava, des boissons gazeuses, des chips et des pinottes ; et son rôle s’arrête là.
Le soir, il n’y a que des petites loupiotes qui sont allumées ; les lieux restent donc dans la pénombre pratiquement la plus totale. Et le monde ne parle pas fort. Ça chuchote presque. C’est hyper cool. On n’y vend pas d’alcool, et le cannabis y est interdit – en principe (c’est écrit dans tous les établissements). Mais j’ai quand même cru sentir quelques odeurs suspectes dans un.
De ce que j’ai pu voir, on dirait que ce sont des lieux hors-système. C’est un créneau qui n’est pas encore réglementé en tout cas ; mais ça se parle que ça va le devenir bientôt – le gouvernement est à la veille d’y mettre son nez. Pour le moment – et de façon très simplifiée –, quelqu’un prend possession d’une arrière-cour ou d’une cambuse désaffectée, y met quelques décorations, chaises et tables, érige un tout petit bar, et voilà le travail : un nakamal naît.
On dit qu’ils sont annoncés par une lumière rouge à l’entrée. Mais je n’ai vu cette lumière qu’une seule fois. Ils sont très difficiles à trouver, en fait. Il a même fallu mener une enquête parmi les initiés, au début, pour en trouver au moins un...
La première adresse que nous avons obtenue, ça a été dans le Faubourg Blanchot (un quartier très correct de Nouméa). Le nakamal consistait à une petite arrière-cour tranquille et propre, fréquentée par des Blancs en majorité. C’est là que j’ai bu mon premier kava. Il a passé mieux que je pensais. Tellement que, quelques vingt minutes plus tard, j’en ai pris un deuxième. Un très gentil Kanak assis derrière nous nous a expliqué où en trouver d’autres – des nakamals. Adresses que nous avons mémorisées, et que nous avons projeté d’aller visiter au cours des prochains jours.
La sortie nakamals suivante s’est avérée une bien drôle d’expédition. Nous nous sommes rendus à Nouville : une immense presqu’île dans le nord de la ville sur laquelle on trouve entres autres une prison, une université, un théâtre, un hôtel, une plage de nudistes et un institut psychiatrique – ne cherchez surtout pas le rapport entre tout ça ; il n’y en a pas....
À l’ombre des murailles de l’institut psychiatrique, il y a un chemin qui s’enfonce vers les squats. En passant, les squats, ici, ce sont les bidonvilles de la Nouvelle-Calédonie. Chemin que nous avons suivi, pas vraiment sûrs de nous, à la brunante, et à la recherche des nakamals du coin. Nous sommes enfin tombés sur un : le Jo-bar, dont la photo est au début de cet article – pas évident, je sais...
Vous dire le temps pendant lequel nous avons hésité, debout dans la rue, avant de nous aventurer dans ce bâtiment délabré (peut-être rempli de coupe-jarrets), je vous jure que c’était drôle à voir – dans un sens. Nous entendions bien des voix à l’intérieur de « l’établissement », mais des voix de quoi ? Des voix de qui ? Houla... Nous ne savions même pas où se trouvait la porte pour entrer. L’arrivée de quelques Blancs nous a un peu rassurés, et leurs pas nous ont indiqués l’endroit par où nous pouvions pénétrer. Alors, go... et à la grâce de Dieu...
Une agréable surprise nous attendait finalement. L’endroit était tout autant délabré à l’intérieur qu’à l’extérieur, mais de petites touches de décoration ici et là le rendaient finalement plutôt sympathique. Et c’est sans compter la clientèle qui occupait toute la place : des Blancs pour la plupart. Et des jeunes, pour la plupart aussi. Assis nonchalamment un peu partout, ils discutaient doucement et jouaient aux cartes. C’était cool....... C’est ben pour dire…
Nous en avons trouvé un autre durant la même soirée, pas très loin du premier, et au milieu des squats lui aussi. La Terrasse, qu’il s’appelait. Ah ben celui-là, ça a été le pied : un peu moins délabré que le premier, il accueillait une clientèle beaucoup plus diversifiée que l’autre : des Blancs, toujours, en majorité, mais de tous les âges (même des enfants), cette fois. Nous nous sommes installés sur sa terrasse et nous avons admiré le soleil couchant sur la mer au loin. Moment romantique de toute beauté.
Un peu plus tard dans la semaine, nous avons décidé d’aller voir ce qu’avaient l’air les autres adresses qu’on nous avait données. Ah ben là, mes amis, ça n’a pas du tout été la même chose... Ça a plutôt été le choc ; et l’angoisse... Le Nakamal du Quartier latin, premièrement... Une fois dedans, nous avons bien vu que nous formions deux taches blanches parfaitement incongrues parmi une clientèle exclusivement mélanésienne. Ça l’a tout de suite fait glup – et re-glup.
Mais une fois dans la place, pas question de reculer. Ma chronique (et mes lecteurs) avant tout, que je me suis dit pour me donner du courage. Alors, go directement vers le bar à kava. Je vous avoue toutefois que le shell s’est vidé en une seconde et demie. Et que l’étude des lieux a été vite accomplie. Pas qu’on nous regardait directement de travers. Mais personnellement, je ne me sentais pas du tout à l’aise. D’autant plus qu’il y avait une sorte de déchéance très visible autour de nous. C’était crado, pathétique et peut-être aussi – disons-le – potentiellement dangereux. Mais peut-être pas, non plus, après tout. Comment savoir ? Nous ne nous sommes pas mêlés à la foule – pas osé. Et si ça trouve, on nous aurait peut-être très bien accueillis. Mais on ne le saura sans doute jamais... Quoi qu’il en soit, deux soirs plus tard, la police a effectué une importante descente dans cet endroit, et le tout a été filmé et passé dans les manchettes télévisées du lendemain. Misère... il était moins une...
La visite de l’autre nakamal, celui de Port Moselle, a été pas mal pareille à la précédente, quoique un peu moins pire (à peine). Kava quand même bu en deux gorgées, là aussi, étude des lieux en deux minutes, et on a déguerpi vite fait – et sains et saufs... ouf...
Un troisième (le Vingt-et-un) a amplement compensé les deux premiers : il s’agissait d’une très belle terrasse remplie de plantes vertes et d’arbres, avec vue sur le quartier – et fréquentée en majorité par des Blancs. Il était situé à l’extérieur du centre-ville, dans un quartier ben correct – Magenta. Nous lui avons donné une très bonne cote.
Il a été difficile à trouver par contre, celui-là, car il n’y avait ni lumière rouge, ni écriteau, ni rien pour l’annoncer. Pour s’y rendre, il a fallu descendre à pied une allée précise qui débouchait derrière une maison. Ce sont même des habitants de la rue qui nous ont renseignés. Comme quoi ils sont discrets, les nakamals, vous voyez ?
Et voilà.
Une étude plus approfondie de ces lieux spéciaux auraient demandé que nous en visitions davantage que ce petit nombre, et que nous nous y rendions à différentes heures durant la soirée. Je voulais néanmoins m’en faire une idée sommaire... assez pour vous en parler. Nous retournerons sûrement dans d’autres au cours de l’année.
La chose à retenir pour le moment, c’est que ce sont des endroits très agréables – cool, discrets, silencieux – en autant que nous les choisissions avec soin... On nous a prévenus après coup – c’était bien le temps ! – qu’à certains endroits, les Blancs ne sont pas du tout les bienvenus. C’était peut-être le cas dans les deux du centre-ville où nous avons été - glup. Et ça l’est sans doute davantage dans les quartiers chauds du nord.
Je ferai plus attention pour les prochains, OK, promis !
À plus tard, groupe !
Yvan
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