(14) 6 juin 2018 - Une toute petite saucette en Géorgie
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3 000 km avec une poussette (ou ma longue marche en solitaire dans les USA)
Chronique # 14 – Une toute petite saucette en Géorgie
Mercredi soir, le 6 juin 2018
Varnell (Géorgie, USA), sous un gazebo, dans un parc municipal
Je sortirai de la Géorgie demain, dans le milieu de la journée. Et je n’aurai pris que 2 ½ jours pour la traverser… Mais cela se comprend du fait que je ne fais qu’effleurer sa pointe nord-ouest. Et ça m’aurait même pris un peu moins de temps que ça si je n’avais pas décidé de faire un détour afin de contourner la ville de Chattanooga (essayez de prononcer ce nom-là pour la première fois sans bégayer), qui est trop grosse pour moi (agglomération de 529 000 habitants), à la frontière du Tennessee.
Même si ce parcours n’aura pas été long, il aura été émaillé de quelques courtes anecdotes qui valent la peine d’être racontées, je crois…
Pour le salut de mon âme
Avant de relater la première de ces anecdotes, juste dire que j’ai passé très tôt la frontière de cet état, hier matin, le 5 juin : vers 7h00 ou 7h15. Ça a été un moment solennel (comme d’habitude), même si j’étais tout seul (comme d’habitude aussi) à m’émouvoir de cet événement.
Mais je ne me suis pas attardé trop longtemps à cet endroit, car marcher, marcher, marcher, tel est mon destin…
La journée a été pas trop pire en termes de température : chaud, oui, soleil, oui, mais le taux d’humidité était quand même endurable dans les circonstances. Et c’est sans incident particulier (si je ne tiens pas compte des DRR-DRR qui continuaient de me narguer pour leur part) que je suis presque arrivé au village de Naomi où je comptais m’arrêter pour la nuit.
Je dis « village » pour être poli. Et je dis « presque » car je ne m’y suis pas rendu, finalement. J’ai en effet aperçu une église 9 km avant ce village, et le porche de cette bâtisse m’est apparu comme d’un excellent endroit pour y installer ma tente en dessous
Un employé était en train de couper les mauvaises herbes alentour. Je lui ai demandé la permission de m’installer là. Il s’appelait Mark, et il s’agissait d’un très brave type. Il a réussi à rejoindre un responsable de sa congrégation par téléphone, qui m’a lui-même donné son autorisation. Yes !
J’ai passé le reste de la journée à écrire mes mémoires, à manger, à relaxer et à discuter avec Mark. Celui-ci m’a entre autres appris qu’il y avait des serpents alentour de l’église (gloup), mais que le danger était très minime d’avoir la visite de l’un d’entre eux (heu… OK, merci de me rassurer…).
Mark est finalement parti chez lui en me laissant seul. Une heure avant le coucher du soleil, je m’apprêtais à monter ma tente, lorsque la personne qui m’avait permis de rester là par téléphones interposés est arrivée en pick-up. Il s’est présenté. Ce n’était pas le pasteur, mais plutôt une sorte de « pasteur adjoint », je ne sais trop. Il s’est assis directement par terre, sur le trottoir de ciment, m’a invité à faire la même chose, et a aussitôt commencé à me poser des questions concernant mon orientation religieuse.
Oups…
J’ai toujours été mal à l’aise de discuter de ce sujet-là dans cette région-ci des États-Unis où la population (noire et blanche) est beaucoup plus religieuse que la moyenne des ours. J’essaie habituellement de m’en sortir en disant que je suis né catholique, que je ne suis pas pratiquant, mais que je crois en Dieu – ce qui est vrai, dans un sens, de toute façon.
Mais voilà-tu pas que l’homme s’est mis à me parler de sa propre religion en tentant de me convertir grave.
Ça a duré plus d’une heure non-stop, et ça a été passablement pénible. Mais je l’ai laissé aller, bien sûr, car je ne voulais pas être impoli. Et je devais assumer mes choix : j’avais en effet prévu d’avance que camper à l’ombre des églises impliquerait quelquefois et nécessairement ce genre de situations.
Je ne comprenais strictement rien à ce qu’il disait parce que mon anglais n’était pas assez parfait pour le suivre dans ce genre de discours abstrait, mais surtout parce que je ne me forçais pas pantoute à tenter de traduire ses propos qui ne m’intéressaient aucunement.
Il me posait parfois des questions, mais je répondais évasivement tout en précisant que je ne saisissais pas réellement le sens de ses demandes étant donné que mon anglais était trop nul (allait-il comprendre le message ?). Qu’à cela ne tienne, mes réponses ne l’intéressaient aucunement de toute façon, et il repartait de plus belle sans se rendre compte que son laïus était complètement inutile – et barbant.
Au bout de trois quarts d’heure, j’ai commencé à avoir rudement mal aux fesses à force d’être assis sur le ciment et à ne pas bouger. J’ai aussi commencé à m’endormir et à retenir mes bâillements.
C’est là que Mark (l’employé) – alléluia – est arrivé en pick-up pour me remettre un gros sac de victuailles qu’il avait préparé avec sa femme après leur souper. J’ai trouvé ça extrêmement gentil de sa part, et je l’ai remercié une bonne dizaine de fois de suite. Dans ma condition de marcheur extrême, de la nourriture pour mon corps était pas mal plus adaptée que celle que me prodiguait le pasteur adjoint pour mon âme.
Après le départ de Mark, l’autre a enfin fini par finir. Je me suis retenu de ne pas montrer mon soulagement. Avant de partir, il m’a offert une mini-Bible en me recommandant d’en lire des bouts à tous les jours (oui, bien sûr). Et il est reparti, visiblement convaincu d'avoir réussi à m’ébranler spirituellement.
(À noter que ce sera la seule et unique fois où quelqu’un me tiendra ce genre de discours pendant tout le reste de mon voyage. Tous les gens d’Église à qui je parlerai dorénavant ne feront jamais montre d’un tel acharnement à tenter de m’imposer leur foi. Au contraire. Et la plupart deviendront même mes amis Facebook.)
Il faisait noir depuis un bon bout de temps lorsque j’ai pu enfin monter mon campement. Et puis, après cette heure de catéchisme personnalisé, et à l’ombre lunaire des murs d’une église, je me suis dit que je ne serais pas surpris de recevoir une visite inattendue provenant d’en haut, durant la nuit. Qui savait ?
Nom d’un chien !
L’on se souvient peut-être d’Alabama, la chienne qui m’avait accompagné durant une demi-journée voilà quelques jours ? Eh bien, elle est revenue ! Je dis ça, car sur le coup, lorsqu’elle est apparue, j’étais certain que c’était elle…
Je raconte…
Ce matin, 6 juin, pas trop longtemps après avoir repris la route, j’ai entendu un drôle de bruit derrière moi. Je me suis retourné, et quelle n’a pas été ma surprise de voir un chien (une chienne) exactement semblable à mon ancienne compagne, Alabama ! Ben oui ! Et elle me suivait elle aussi pareil comme l’avait fait l’autre quelques jours plus tôt.
Plusieurs minutes m’ont été nécessaires pour me rendre compte, néanmoins, de quelques différences : 1) celle-ci avait un collier ; 2) elle était jeune (elle s’épivardait partout sans trop s’essouffler) ; et 3) elle avait vraisemblablement été dressée à ne pas marcher sur la route.
Et comme elle était enjouée, et qu’elle semblait s’amuser en ma compagnie, et qu’elle n’était pas dangereuse pour les autos, je l’ai tout de suite adoptée sans trop me questionner sur les inconvénients que cette initiative allait éventuellement m’apporter. Je l’ai baptisée Georgia (original, oui, je sais). Je lui parlais et je m’arrêtais de temps en temps pour la caresser. En quelques minutes, nous sommes devenus de très bons amis.
Mais cela n’a pas duré longtemps, encore une fois… Une drôle d’histoire, que celle-là…
Après une dizaine de kilomètres, une autre chienne est apparue en sortant de nulle part et s’est mise à me suivre elle itou ! Ben oui, décidément. Les animaux américains me prenaient pour le Dr Dolittle ou quoi ?
Il s’agissait d’une chienne très massive celle-là (si ce n’est obèse).
Elle était en outre passablement avancée en âge. Elle n’approchait aucune race précise. Elle m’avait apparemment prise d’affection, elle aussi, mais le problème c’est qu’elle marchait carrément dans la rue sans discontinuer. Et chaque fois que ma brave Georgia s’approchait de nous, elle la faisait reculer en grondant – elle paraissait très jalouse, la vlimeuse.
Bref, ce qui devait arriver n’a pas tardé à arriver : les véhicules – autos et camions – se sont évidemment mis à ralentir, à arrêter et à me klaxonner rageusement. Et voilà-tu pas que j’étais redevenu un danger public routier à cause d’un animal qui ne m’appartenait pas.
Tellement qu’un moment donné, j’ai dû faire un maitre de moi en ordonnant à la deuxième chienne de rester là et de ne plus me suivre. « SIT DOWN AND STAY THERE !! » que je lui ai crié par la tête en pointant mon doigt vers le sol, et sans trop me faire d’illusions sur son degré d'obéissance.
Contre toute attente, elle m’a écouté sans rouspéter !
Elle s’est toutefois relevée à quelques reprises en faisant mine de vouloir reprendre la route, mais je répétais inlassablement mon ordre, la faisant chaque fois se rasseoir sur-le-champ, en m’éloignant d’elle pas à pas et en reculant. Ce petit manège a duré environ cinq minutes. Une centaine de mètres nous séparaient lorsque je l’ai finalement perdue de vue dans un détour de la route.
La dernière vision que j’en ai eue, ça a été de la voir assise, au loin, alors qu’elle me fixait avec de grands yeux tristes et qu’elle faisait extrêmement pitié à regarder.
Triste, je l’étais moi aussi en étant conscient que je l’avais abandonnée à son sort en pleine campagne.
Et d’autant plus triste qu’entretemps, au milieu de tout ce brouhaha, Georgia avait disparu.
Et je ne l’ai plus jamais revue, elle non plus…
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Je ne dors pas dans un endroit très top top ce soir. Je suis dans un (autre) bled perdu, qui s’appelle Varnell. Et pour m’abriter pour la nuit, je n’ai trouvé rien d’autre qu’un gazebo sans électricité et sans lumière dans le parc municipal de l’agglomération.
Ce serait correct, remarquez, car j’ai accès à une toilette où j’ai pu me laver tout à l’heure – ce qui est toujours apprécié. C’est juste que dans un parc public, ben y’a du monde qui se promène. Et même si j’ai obtenu la permission de m’installer là en l’ayant demandée aux employés du City Hall (Hôtel de Ville / Mairie), ben les citoyens, eux, ne le savent pas, et ils me regardent comme si j’étais un itinérant (SDF) en train de cuver mon vin.
De ce fait, ils ne m’approchent pas et font de larges détours en protégeant leurs enfants.
Cela dit : à moi le Tennessee, demain ! (voir la capsule encyclopédique ci-dessous)
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MARDI, 5 JUIN ET MERCREDI 6 JUIN 2018
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LA CAPSULE ENCYCLOPÉDIQUE
DES MAUDITS VENTS
Avant tout, et rien que pour le fun, voici une question quiz : sans regarder, et juste de mémoire, combien de « e », de « n » et de « s » y a-t-il dans le nom de cet état ?
Population du Tennessee : environ 6,7 millions
La carte ci-dessous représente la répartition de la population sur l’ensemble du territoire : ca part du rouge (très densément peuplé – les agglomérations urbaines, pour ainsi dire) au vert (plutôt dépeuplé), en passant par le jaune (moyen).
Comme je serai complètement à l’est de cet état, je devrai faire gaffe pour éviter les taches rouges, mais je ne crois pas que ce sera toujours possible…
Le nom de Tennessee est une déformation anglaise du mot Tanasi, qui était un village indien Cherokee érigé sur les bords de la rivière Little Tennessee River. Il n’en reste plus rien aujourd’hui à part un mémorial qui ne se trouve même pas sur le lieu exact du site.
Le village – qui avait déjà été abandonné par ses habitants – a en effet été submergé par un lac artificiel suite à la construction d’un barrage.
Les plus grandes villes du Tennessee – agglomérations comprises – sont Nashville avec 1,6 millions d’habitants, Memphis avec 1,33 millions et Knoxville avec 1 million.
Nashville est la capitale du Tennessee.
Nashville est également synonyme de Johnny Cash. Tandis que Memphis est synonyme d’Elvis Presley.
Je sais qu’un de mes amis (Pierre, pour ne pas le prénommer) trouvera scandaleux que je ne fasse pas le détour par Memphis pour aller voir la maison du King. Ce sera pourtant le cas : je suis désolé, Pierre, mais c’est trop loin pour un homme à pied, et la ville est trop peuplée pour un pèlerin misanthrope.
À propos de mon itinéraire, le voici sur la carte ci-dessous, au milieu du relief accidenté de cette partie du Tennessee que je traverserai.
Pour en revenir à Elvis, de toute façon, je l’ai vu hier, pas loin d’ici.
Je suis sûr que c’était lui, car je suis un de ceux qui sont convaincus que sa mort était un canular. Et à propos… À ceux qui sont amateurs de théories du complot, vous serez peut-être heureux d’écouter ce reportage…
Et finalement, l’on se souvient peut-être de mes vers d’oreille lorsque je traversais l’Alabama et la Géorgie. Lorsque je franchirai la frontière du Tennessee, il sera remplacé par celui-ci.
Décidément...
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