Les deux facettes de l'être humain
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En introduction de ce texte, je raconte une petite anecdote cute. C’est une histoire vraie – elle s’est passée en avril 2015, quelque part en Angleterre. Lisez ça, et retenez vos larmes…
Dans un restaurant, Brandi servait ses clients, comme d’habitude, dans l’effervescence de l’heure du repas.
Profitant d’une courte accalmie, sa collègue lui a demandé des nouvelles de son fils. À cette question, le moral de Brandi s’est effondré. Elle a alors expliqué à son amie que son fils vivait maintenant dans une autre ville, et que de sérieux problèmes d’argent l’empêcheraient dorénavant de le revoir avant un bon bout de temps. Brandi n'a pas pu toutefois s’épancher très longuement sur son chagrin, car les clients réclamaient déjà les deux femmes, et l’activité a repris de plus belle.
Quelques minutes plus tard, Brandi se trouvait dans la cuisine, attendant ses plateaux, lorsque l'hôtesse du restaurant est accourue vers elle en souriant de toutes ses dents.
— Brandi ! lui a-t-elle dit. Regarde ça !
Elle lui a alors tendu un ticket de caisse d’un client qui venait tout juste de quitter le restaurant après avoir réglé sa note. Ne comprenant rien à l’exultation de l'hôtesse, Brandi s'est emparée du papier et elle y a jeté un coup d’œil. Elle a tout de suite remarqué l’anomalie :
Sous-total = 9,53 £ (16 $ ou 11 €)
Pourboire = 200,00 £ (335 $ ou 235 €)
Total = 209,53 £ (351 $ ou 246 €)
— 200 £ de pourboire ! s'est-elle exclamée. Il a fait une erreur !
— Regarde au verso ! lui a rétorqué l'autre. Il t’a écrit un mot !
Brandi a retourné le ticket, sur lequel un message était écrit à la main, à son attention : « Brandi, merci pour votre service. Je vous ai entendue parler de votre fils. Utilisez ceci pour lui rendre visite. »
Brandi a immédiatement fondu en larmes.
* * * * *
Tant bien que mal remise de ses émotions, Brandi s’est empressée de scanner le papier et de le mettre en ligne. « Je n’arrive pas à croire que des choses comme ça arrivent vraiment, » a-t-elle commenté. « Les gens gentils et attentionnés existent encore. »
Un journal s’est emparé du document numérisé pour en produire un entrefilet. Et l’anecdote a dès lors, et rapidement, fait le tour des réseaux sociaux.
Qui était ce client si généreux ? Personne ne le sait. L’homme a payé sa facture par Visa, mais sa signature est illisible. Anonyme il s'est fait, anonyme il est demeuré.
Il s’est toutefois sûrement rendu compte qu’on parlait de lui sur Internet, et qu’on le considérait presque comme un héros. L’idée lui est-elle alors venue de se révéler en tant que l’auteur de ce geste de générosité ? S’il l’avait fait, il aurait connu un moment de gloire. Mais s’il en a eu envie, il s’en est vraisemblablement abstenu. Et c’est tout à son honneur. On aimerait d’ailleurs penser qu’il n’en a même pas parlé à ses proches. Un tel geste n’en est-il pas plus sublime lorsqu’il est accompagné d’une magnifique humilité ?
* * * * *
Le comportement de ce généreux donateur est en tout cas si peu banal qu’on ne s’étonne pas qu’il ait été relayé par des centaines de milliers d’internautes à travers le monde.
Les médias, par contre, tellement peu habitués de rapporter des informations réjouissantes de la sorte, ont peiné à classer celle-ci quelque part dans leurs pages web. N’ayant pas de rubrique « bonnes nouvelles » – ces dernières étant probablement trop rares, ou généralement considérées comme étant inintéressantes – ils l’ont rangée dans les « faits divers » ou dans les « nouvelles insolites », c’est-à-dire à même les anecdotes atypiques, les agressions de toutes sortes et les histoires sordides. C’est ainsi que, par exemple, à côté de cet entrefilet si respectable, nous retrouvions ce titre : « Elle crache et met du détergent dans la nourriture de ses colocataires. »
Mais ce n’est pas tout… À peu près en même temps que les lecteurs de faits divers prenaient connaissance de cette belle histoire du donateur anonyme, ils apprenaient également – pour ne prendre qu’un exemple parmi tant d’autres – qu’un viol collectif était survenu en Inde du Nord.
Afin de bien montrer tout le bien ou tout le mal auquel est capable de s’adonner l’être humain, je rappelle rapidement cette odieuse affaire.
Une femme de 35 ans voyageait en bus, de nuit, avec ses deux enfants : un garçon et une adolescente de 16 ans. Un groupe de voyageurs s’en sont pris à elle et à sa fille, et alors que le chauffeur s’est apparemment joint à eux ! Une fois leur forfait accompli, les agresseurs ont expulsé carrément leurs deux victimes hors du bus pendant que celui-ci était encore en marche. La jeune fille en est morte.
Réjouissant, n’est-ce pas ?
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Bref.
Voici deux histoires réellement vécues qui font – littéralement – pleurer : l’une à cause du sentiment d’extrême sympathie qu’elle éveille ; l’autre à cause des émotions d’indignation, de révolte et de dégoût qu’elle suscite. L’une fait référence à tout ce que l’être humain recèle en lui d’esprit de charité, de noblesse et de grandeur d’âme ; l’autre renvoie à sa bestialité – mot d’ailleurs totalement irrespectueux envers les bêtes, qui n'agissent même pas ainsi dans la nature. Le premier de ces « faits divers » redonne espoir à ceux qui croient encore à la bonté de l’humanité ; l’autre donne raison aux cyniques et aux désabusés qui sont convaincus que l’espèce humaine est irréversiblement en voie de perdition.
En furetant rapidement dans les annales de la planète, nous apprenons que, de tout temps, certaines personnes ont sacrifié leur vie pour sauver des gens qui leur étaient totalement inconnus ; tandis que d’autres, juste à côté, ont volé, violé, torturé et tué des membres de leur propre famille.
Que se passe-t-il dans l’esprit de l’être humain qui est de nature à engendrer les plus vertueuses valeurs ou, au contraire, les plus sordides abjections ? D’où cela provient-il ? Est-ce inscrit dans les gènes ? Les hommes naissent-ils tous foncièrement bons ou foncièrement cruels – de façon égale ? S’ils naissent bons, pourquoi dans ce cas certains le demeurent-ils tout au long de leur vie, tandis que d’autres tournent mal ? A contrario, s’ils naissent cruels, pourquoi certains conservent-ils éternellement ce fond de méchanceté, alors que d’autres se convertissent à la bonté en cours de route ?
Pourquoi certains individus – les égocentriques, les narcissiques – sont-ils centrés sur eux-mêmes au point tel que le sort du reste des êtres humains les laisse complètement indifférents, sauf s’ils peuvent en tirer des avantages pour eux-mêmes ? À l’opposé de ces cas périphériques, pourquoi d’autres individus – les allocentristes, les appelle-t-on – font-ils une fixation sur les tierces personnes au point de s’oublier eux-mêmes ?
De façon plus globale, c’est-à-dire en négligeant les comportements extrêmes et en se concentrant sur la population « moyenne », comment se fait-il que certaines gens déambulent dans la vie en pensant généralement aux autres, ne serait-ce qu’en démontrant de la simple courtoisie élémentaire ? Tandis que d’autres n’ont que faire de telles considérations et agissent constamment selon leurs propres désirs du moment ?
Et lequel des deux groupes a raison, au bout du compte ? Les vertueux – appelons-les comme ça – se mériteront-ils une place de choix dans l’au-delà, une fois décédés ? Et les égoïstes se verront-ils brûler dans une sorte d’enfer ?
Si ça se trouve, peut-être que les membres des deux catégories passeront de l’autre côté du seuil en sombrant simplement dans le néant absolu. Si c’était le cas, cela signifierait-il que bonté, cruauté, égocentrisme et altruisme n’auraient aucune sorte d’incidence au bout du compte ?
Mais on n’ose croire qu’une telle éventualité puisse exister. On se révolte littéralement à cette pensée.
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Les êtres humains sont-ils foncièrement bons ou foncièrement mauvais ? Cette question a fait l’objet de nombreux débats au cours des siècles, et d’éminents penseurs en ont tenté des réponses savantes : tantôt Freud et Machiavel dans le camp des « foncièrement mauvais » ; tantôt Rousseau dans le camp des « foncièrement bons ».
Mais que vaut cette discussion ? Le fait est que les tenants du premier camp trouveront sans cesse des exemples pour « prouver » leurs allégations ; de même que les partisans du second camp. Car la simple observation indique que la terre est peuplée à première vue de gens foncièrement égoïstes et de gens foncièrement altruistes ; et que la plupart des gens démontre les deux comportements alternativement.
Personnellement, je tends à penser que la Terre est peuplée :
- de gens qui apparaissent de prime abord foncièrement mauvais ; et qui le sont – mauvais, cruels, égoïstes – pour toutes sortes de raisons ; et qui semblent n’offrir aucun espoir de conversion ;
- de gens « ordinaires », tantôt généreux, tantôt égocentriques, mais qui tendent naturellement vers la bonté, et qui font leur possible pour y parvenir – même si ce n'est jamais très évident !
- et de gens foncièrement bienveillants envers leurs prochains, et qui montrent le chemin de la vertu aux deux premières catégories.
Pour faire savant – et même si ce que je m'apprête à dire est absolument non scientifique –, j'avancerais que tous ces gens sont répartis sur la terre selon la courbe normale. Courbe qui est souvent utilisée pour répartir les populations. Admirez le petit montage personnel :
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Personnellement, j’adhère à la théorie voulant que l’humanité, de générations en générations, évolue vers une destination précise, même si celle-ci n’est pas encore très claire – et tant s’en faut – à ce moment-ci ; et que ce but a nécessairement un rapport avec le mot « amour ». Ça fait très "fleur bleue" de dire ça, je sais – peace and love et tout. Mais quelques indices tendent néanmoins à mener vers cette conclusion :
- En général (et là, j'espère de ne pas me leurrer), les gens éprouvent un certain bien-être lorsqu’ils font le bien ; ils pleurent naturellement quand ils sont témoins de scènes touchantes d’altruisme spontané et gratuit ; et ils se révoltent et s’indignent d'emblée devant des gestes crapuleux et sordides.
- Les lois instaurées par les hommes eux-mêmes ont généralement pour but de maintenir le « bien » et de punir le « mal », même si ce n'est aujourd'hui que dans un but de survie collective.
- Lorsque le Mal à l'état pur semble vouloir prendre de l’ampleur dans le monde, les « forces du bien » se mobilisent instinctivement contre lui. Rappelons-nous le combat sans merci qu'ont mené les forces de la coalition contre le nazisme voilà peu de temps. Et aujourd’hui, le même phénomène se reproduit contre le terrorisme intégriste.
- Le mal dirige irrémédiablement l'humanité vers le chaos, vers sa destruction ; le bien, quant à lui, et selon toute vraisemblance, conduit à sa survivance ; et l’homme agit continuellement en fonction de sa survie.
Je tiens donc pour acquis que les gens évoluent naturellement vers la notion du bien, même si c'est difficile à croire et que ça prend un solide dose d'optimisme pour conserver cette idée envers et contre tous.
Pour ce faire, ils s’y prennent de deux manières :
- En expérimentant eux-mêmes des situations qui les forcent à choisir entre faire le bien ou faire le mal ; et en subissant les conséquences de ces choix.
- En observant et en jugeant le comportement des autres ; soit directement, ou soit par le biais des médias qui leur en font le résumé.
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Parlant des médias...
Pour des raisons de gros sous, les médias ne rapportent presque exclusivement que des nouvelles qui font indigner les gens – les comportements des gens à gauche de la courbe normale (voir plus haut). C’est une option. Mais celle-ci, portée à outrance, comme c’est effectivement le cas aujourd'hui, a tendance à désabuser la population, et à démobiliser les gens plutôt qu'à les motiver, par exemple, à imiter ce type dont l'histoire a été relaté au début de cette chronique.
Quelques sites se sont donnés pour tâche de contrebalancer ces empires en ne mettant en ligne que des bonnes nouvelles. Mais ils sont encore beaucoup trop peu, beaucoup trop discrets, et beaucoup trop peu lus.
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