(02) 18 mai 2018 - À la veille du départ
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3 000 km avec une poussette (ou ma longue marche en solitaire dans les USA)
Chronique # 02 – À la veille du départ
Vendredi matin, le 18 mai 2018
Trois-Rivières (Mauricie, Qc)
Comme promis, juste un dernier mot pendant que je le peux encore. Je voulais envoyer ce message à la toute dernière minute, mais je me rends compte que je ne disposerai plus de temps à partir de tout à l'heure. Alors, je me lance tout de suite. Et le prochain envoi aura lieu je sais pas trop quand, et à la grâce de Dieu...
Demain après-midi, c’est le grand saut, donc. Je prends l’avion direction Nouvelle-Orléans, via Chicago.
Ça commencera pas trop ben, par contre. Je vais arriver là-bas vers les 23h00, demain soir. On convient que ce ne sera pas une ben belle heure pour entreprendre une marche à pied à travers une grosse ville comme ça avec une poussette de bébé. Ça fait que je vais faire comme les jeunes : je vais essayer de dormir quelque part dans l’aéroport, à la bonne franquette, en attendant le lever du soleil.
Ce qui risque d’être passablement long et pénible.
Et à l’aube du 20 mai (dimanche), zip zap : je partirai officiellement. Autrement dit, après-demain, ça y sera. Je serai en plein dedans.
Cela dit, beaucoup m'ont demandé si j’avais peur d’entreprendre cette petite aventure. La réponse est oui. Et en fait, pour être franc, j’ai peur d’un paquet de trucs.
Juste avant de partir, et pour le bénéfice de ceux qui aimeraient éventuellement relever un petit défi de la sorte un jour, je vais les révéler, ces craintes personnelles, car je suis authentique. Mais que personne ne rit, hein ? Et de grâce, qu’on ne me demande pas pourquoi diable j’entreprends ce périple-là si j’ai peur de tout ce que je m’apprête à énumérer ici. Je le fais peut-être pour les affronter et les vaincre, justement, ces peurs. Une sorte de thérapie, autrement dit. Ben quoi ?
Alors, go, j’y vais…
* * *
Le spleen…
C’est-à-dire les périodes de découragement et de mélancolie qui seront dues à toutes sortes de causes : la solitude, la fatigue, l’ennui...
J'appréhende ce sentiment surtout le soir. Je n’insiste pas, car j’en ai déjà parlé.
Déclarer forfait…
Ma deuxième crainte, c’est de devoir abdiquer en chemin parce que je ne serai pas capable d’assumer physiquement parlant.
Ce qui serait extrêmement décevant étant donné toute l’énergie que j’ai mise à m’entrainer depuis janvier.
Ou bien d’abdiquer parce que je me rendrai compte que je n’arriverai pas à compléter ce périple dans le délai prescrit. À cause d’une question d’horaire très serré, je dois en effet être de retour au Québec le 22 septembre au plus tard, pas un jour de plus.
Vers les trois-quarts de ma route – en août, genre, si je me rends jusque là, bien sûr –, je réévaluerai où j’en suis rendu. Et si je considère à ce moment-là que les chances sont trop grandes de ne pas revenir à temps de toute façon, c’est avec la mort dans l’âme que je prendrai la décision qui s’impose : celle de monter tout de suite dans un bus et de finir ce périple de cette manière…
La pluie…
Je crains surtout les journées où il pleuvra du matin au soir sans discontinuer, genre.
J’ai un imperméable et mes trucs le sont aussi – imperméabilisés –, mais je sais que ce ne sera pas suffisant pour que je reste zen lorsque cela arrivera. J’ai souvent pensé à la situation, par exemple, où après des heures et des heures de marche sous la pluie, je devrai planter ma tente, le soir, pendant que la flotte me tombera encore dessus. Je n’ai malheureusement jamais réussi à me faire la moindre idée agréable à propos de ce scénario.
Et au fait, parlant de pluie, la saison des ouragans dans l’Atlantique Nord débute justement ces temps-ci, et elle se terminera vers le 30 novembre. Espérons qu’il n’y en aura pas un – un ouragan – qui aura l’idée de s’abattre sur le sud des États pendant que je serai dans ce coin-là. Un du genre de Katrina, mettons… Vous vous souvenez de Katrina ?
Le camping sauvage…
J’en ai déjà fait – un peu – au cours de ma vie, mais la plupart du temps, c’était dans des terrains de camping, avec minimalement des toilettes et des douches pas trop loin, et jamais très longtemps. Mais en pleine nature, et plusieurs semaines d’affilée, pas vraiment. C’est là que je testerai jusqu’où va mon sens de l’adaptation au manque de confort.
Mais bon, je n’ai pas l’intention de me priver de petits gîtes ou motels ici et là, lorsque je n’en pourrai plus.
La tourista…
Même si je ferai hyper attention, comme d’habitude, je sais que je n’échapperai pas aux germes responsables de ce désagrément. C’est pratiquement inévitable.
Tous les grands voyageurs dont j’ai lu les aventures l’ont attrapée un moment donné, et pas rien qu’une fois, et ce, peu importe toutes les précautions qu’ils avaient prises pour s’en prévenir.
J’ai fait au moins le plein du meilleur médicament que le pharmacien m’a conseillé pour limiter les dégâts lorsque ça arrivera :
Pis en plus, des pharmacies, aux États, ben y'en a un peu partout...
La chaleur…
Quand je m’entrainais, y faisait plutôt frette – c’était l’hiver et le printemps. Maintenant, il commence à faire chaud. Et plus ce sera l’été, et plus ça ira en s’intensifiant, et plus les canicules apparaitront. Et justement, Miss Météo-Média me confirme qu'il fait entre 30 et 35 degrés, ces temps-ci, à la Nouvelle-Orléans avec un taux d'humidité passablement élevé. Aïe...
Et je me connais : je n’ai jamais le réflexe de boire très souvent et régulièrement. Va falloir que je m’habitue, hein ? À m’asperger de crème solaire itou. Pis à porter un chapeau !
Heureusement, je ne serai pas dans un pays du Tiers-Monde. De l’eau, dans l’est des États, c'est pas ça qui manque. Et j’imagine que personne ne refusera de remplir ma gourde lorsque je demanderai cette aumône. Mais quand même : marcher éventuellement sous le cagnard en poussant mon Pout-Pout avec un temps ressenti de 40 o, j’appréhende un peu, oui…
Les blessures…
Je redoute surtout les maux de dos et les blessures aux chevilles…
Le dos, on n’en parle pas étant donné que c’est une faiblesse courante de vieux comme moi, et qu’il faut juste prévenir les problèmes en surveillant ses mouvements.
Pour ce qui est de mes chevilles… Étant donné que mes deux jambes seront dorénavant les parties les plus vitales de mon corps, eh bien, je vais avoir intérêt à en prendre soin comme la prunelle de mes yeux. Un seul faux pas dans un trou ou sur le bord d’un trottoir, et je risque de devoir revenir au pays en bus et m’appuyant sur une canne (la honte), car je sais par expérience que les entorses, ben c’est long à guérir...
Les attaques de chiens…
Tabarnouche… Quand ça se produira, je prie juste pour que les pitous en question seront seuls et pas trop gros, et surtout qu’ils n’auront pas la rage – comme Cujo ! Haaa !
J’ai pris connaissance de plein d’articles sur la façon de se défendre contre les attaques de chiens sur Internet, mais comme de raison, ces trucs-là restent toujours très théoriques. J’espère par ailleurs que les chiens eux-mêmes ne les auront pas lus, eux – les trucs –, de leur côté !
Pendant mes sorties de pratique, ici, dans la région, il m’est arrivé à trois reprises de me faire foncer dessus par des chiens pas attachés et qui jappaient après moi comme des malades – deux bergers allemands et un braque allemand. Les trois fois, l’instinct m’a fait mettre ma poussette entre eux et moi en poussant un cri « non ! ». Et les trois fois, les chiens se sont arrêtés tout net – et même que les deux bergers allemands ont immédiatement battu en retraite sans demander leur reste.
Qu’est-ce à dire ? Est-ce que c’est ma poussette qui leur a fait peur ? Ou mon cri ? Ou ma super personnalité de dominateur de la mort ?
Personnellement, je crois que c’est la poussette. Si c’était ça, ce serait le fun, car mon problème serait réglé. Mais je ne tiens évidemment pas cette explication pour acquis. Qui vivra verra !
Les serpents…
Parait que je serai susceptible d’en rencontrer quelquefois sur mon chemin – surtout durant la première moitié de ma marche. Faudra juste que j’aie toujours un œil sur l’endroit où je déposerai les pieds – notamment dans les champs, le soir, lorsque je monterai ma tente.
Élémentaire, certes, mais quand même pas évident, ça, pour ceux qui ont une tendance lunatique…
Le vol…
Voici le second inconvénient de voyager seul (le premier étant la solitude) : à deux, y’en a un qui peut garder les bagages pendant que l’autre s’en éloigne (pour faire l’épicerie, par exemple, ou rentrer quelque part pour prendre un simple café). Quand t’es tout seul, ben t’es obligé de laisser régulièrement ton barda sur le trottoir sans surveillance durant un laps de temps plus ou moins long.
Si jamais quelqu'un volait mon Pout-Pout avec tout mon équipement dedans, eh ben là, mes amis, je me retrouverais tout nu dans la rue, pis ce serait le cas de le dire...
* * *
Et voilà, j’ai fait le tour, je crois…
« Non, mais faut-tu être maso en ta ! », que j’entends d’ici.
Peut-être juste un petit peu, je l’accorde…
J’espère à tout le moins qu’il y aura des avantages en compensation : des rencontres intéressantes, par exemple, des moments de vie transcendants, de belles scènes à admirer, la découverte d’une facette ignorée de moi, la fierté de m’être dépassé…
Et pis d’un autre côté, quand on regarde ça objectivement, y’a rien de vraiment dangereux – dans le genre mortel – dans tout ce que je viens d’énumérer (t’inquiète pas, maman). Juste des trucs agaçants qui seront temporaires.
Temporaire, en effet, car ce voyage ne durera quand même que 4 mois. Qu’est-ce que c’est, 4 mois, dans une vie entière, hein ? (En fait, sur une période de 90 ans, mettons, 4 mois, ça représente moins de 0,4%)
Et qu’est-ce que c’est, 4 mois d’inconfort, pour vivre possiblement – aussi – un véritable « voyage intérieur » en cours de route ? Si ça se produit, je pourrais ensuite partir une nouvelle religion, qui sait ? Et l’idée de devenir éventuellement un gourou me plait bien. Ainsi que de recruter tous mes lecteurs comme adeptes.
À moins que tout ça se termine beaucoup plus tôt que prévu ! Aïe !
À ceux que mon petit périple intéresse : juste surveiller mon blog pour la suite des choses. J’espère pouvoir donner des nouvelles de temps en temps – et pas juste pour aviser que le voyage est déjà fini et que je reviens en étant évacué d’urgence !
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LA CAPSULE ENCYCLOPÉDIQUE
DES MAUDITS VENTS
Population de la Louisiane : environ 4,7 millions
La carte ci-dessous représente la répartition de la population sur l’ensemble du territoire : ca part du rouge (très densément peuplé – les agglomérations urbaines, pour ainsi dire) au vert (plutôt dépeuplé), en passant par le jaune (moyen). La Nouvelle-Orléans (là où j'atterrirai demain) est le spot rouge au bout de la flèche.
C’est René Cavalier de La Salle (et non pas René Lecavalier, l’ancien commentateur de hockey) qui a donné ce nom de Louisiane à cet état. Il l’a fait en l’honneur du roi de France, Louis XIV.
Comme tout le monde le sait sans doute, la Louisiane a longtemps appartenu à la France. C’est Napoléon qui l’a vendue (illégalement) aux Américains pour 5 millions de dollars en 1803, afin de financer ses guerres. Il est intéressant de savoir que la Louisiane, à cette époque, était un territoire couvrant 22 % de la superficie des États-Unis.
M’est d'avis que les Américains, après ce deal, n’ont plus jamais refait une bonne affaire comme celle-là de toute leur existence.
Les plus grandes aires métropolitaines de la Louisiane sont, par ordre décroissant de population : la Nouvelle-Orléans (1,2 millions), Bâton Rouge (820 000), Lafayette (480 000) et Shreveport (447 000).
C’est Bâton Rouge qui est la capitale.
Le relief de la Louisiane est très peu accidentée (voir carte ci-dessous). Un avantage pour le marcheur que je suis, mais dont je ne profiterai pratiquement pas, car la Nouvelle-Orléans est située juste sur le bord de la frontière de l’état. Aussitôt dedans – dans la ville –, aussitôt sorti – de l’état. Je ne prévois en effet seulement que deux à trois jours de marche avant de me retrouver dans l’état du Mississippi.
Détail cocasse… Si on est attentif, on remarque que la Louisiane est en forme de botte, comme l’Italie. Mais il y a une grosse différence entre les deux. Alors que l’Italie représente une botte stylisée de femme de la haute société, celle de la Louisiane ressemble à une godasse toute trouée d’homme frustre.
La Louisiane est l’état des USA où il y a le plus de francophones : 7 % de sa population parlent plus ou moins – moins que plus – la langue de Molière.
La Louisiane est un ancien état esclavagiste et qui a pratiqué la ségrégation raciale à grande échelle jusque dans les années 60. Elle est également un fief républicain ayant voté pour Donald Trump aux dernières élections présidentielles. Et finalement, cet état s’affirme l’un des deux plus religieux du pays (avec l’Alabama).
Louisiane républicaine Louisiane religieuse
Ce qui ne lui donne pas un air très accueillant, comme ça, de prime abord, j'avoue.
Je préfère écouter Zacharie Richard en parler : quand on l’écoute, lui, on aurait presque le goût d’y déménager de façon permanente.
Ma Louisiane, ma Louisiane
Si belle au printemps
Si chaude en été
Si fraiche en automne
Si trempe en hiver
Mais moi, je suis fier d’être Cadien
Étant donné que j’arrive au printemps, la Louisiane risque donc d’être « si belle ».
Cool
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