(04) 20 mai 2018 - D'un bout à l'autre de La Nouvelle-Orléans
Tous les articles → En voyageant à pied → 3000 km avec une poussette
* * * * * * * * * * * * * * * * * * * *
3 000 km avec une poussette (ou ma longue marche en solitaire dans les USA)
Chronique # 04 – D’un bout à l’autre de La Nouvelle-Orléans
Dimanche soir, le 20 mai 2018
La Nouvelle-Orléans (Louisiane, USA) – À la sortie de la ville, le long de la route 90 (Chef Menteur Highway)
Et voilà : the first day is over…
J’ai monté ma tente juste à côté d’une sorte de lac-marais, à la sortie de la ville.
Il s’agit d’un endroit public, et je ne savais pas si j’avais le droit. Mais tant pis. J’étais trop à terre pour faire des façons. Quoique je l’ai finalement obtenue – la permission –, mais non sans mal : voir le récit de l’anecdote à la fin.
J’ignore s’il y a des alligators et des serpents dans ce lac qui se trouve juste là, à moins de dix mètres de mon campement.
De toute façon, alligators pas alligators, serpents pas serpents, je ne serai pas long à m’endormir comme une souche. Du moins, je l’espère sincèrement. Je n’ai pratiquement pas dormi depuis 36 heures, et j’ai cumulé 48,8 km de marche au compteur aujourd’hui. Pour comparer, c’était comme de marcher de l’aéroport de Dorval jusqu’à la ville de Repentigny. J’ai les pieds en compote et les articulations qui font couic-couic comme une vieille chaine de bicycle toute rouillée. Pis je suis aussi pas mal fourbu.
Quand même normal pour une première journée… Tous les champions-marcheurs – Béliveau, Ollivier, Marquis et compagnie – l’ont dit : avec le stress qui se met de la partie, une fois réellement dans le feu de l’action, le corps doit prendre quelques jours avant de s’adapter à ce genre d’efforts un peu extrêmes, et ce, même s’il est déjà entraîné. D’ici là, c’est sûr qu’il y aura des courbatures et d’autres petits bobos au programme. Et le moral risque aussi d’en être affecté.
À propos de stress, j’en ai eu mon lot depuis deux jours. Je récapitule : en plus de la pression des derniers préparatifs et de la naissance in extremis de ma petite-fille, il y a eu le voyage en avion jusqu'à La Nouvelle-Orléans, via une escale à Chicago + une nuit passée dans l’aéroport étendu sur la dure (en fait, j’ai dormi à peine trois heures) + un faux-départ, dans l’obscurité + cette traversée complète à pied de La Nouvelle-Orléans, d’ouest en est, quelquefois dans un trafic urbain de l’enfer et sous la canicule, ainsi que dans des quartiers « chauds » + mon aventure de tout à l’heure avec mon malade de voisin et les flics. Tout cela s’étant enchainé dans un marathon non stop…
Je raconte comment ça a commencé, ce matin. Ça donnera une idée comment j’étais énervé…
L’avion a atterri hier soir, vers 23h00, comme prévu. J’ai récupéré mon Pout-Pout et mes bagages. Tout était OK : il n’y avait eu aucune casse ou perte dans les soutes à bagages – ouf ! J’ai pris le temps de monter mon Pout-Pout pour être prêt à partir le lendemain matin. Je me suis ensuite trouvé un siège plus ou moins confortable près de la porte d’entrée, et je me suis assoupi vers 2h00, je ne sais plus trop.
Je me suis réveillé à 5h30. L’esprit encore tout embrumé, j’ai tout de suite remballé mon sleeping, et go à l’extérieur de l’aéroport moins d’une demi-heure plus tard ! Mais une fois dehors, ça a fait bong !
Tabarnouche, il fait donc ben noir, icitte ! De kessé ?
Et puis, au bout de dix minutes, tout en marchant sans trop savoir où je m’allais comme ça, je suis enfin sorti des vaps et je me suis mis à réfléchir – y’était temps…
1 – J’ai pris conscience que j’avais oublié de reculer l’heure. Il n’était pas 6h00, mais plutôt 5h00…
2 – J’ai pris conscience que je n’avais même pas consulté ma carte routière avant de m’élancer comme ça, en aveugle, à travers la ville…
3 – J’ai pris conscience que je n’avais pas appelé ma Domi sur Skype avant de partir, comme j’avais promis de le faire…
Et c’est comme ça que j’ai fait demi-tour et que je suis revenu dans l’aéroport aussi vite que j’en étais sorti, penaud, et me traitant de tous les noms.
Une heure plus tard, je suis reparti, mais pour de bon, cette fois. À La Nouvelle-Orléans, l’aéroport est situé à l’extrémité ouest de la ville. Comme de raison, je devais sortir de la ville par l’extrémité est. Ça n’aurait pas pu être le contraire, hein ? Ben non…
Je me suis dirigé directement vers le nord de la ville, là où je savais qu’il y avait une piste cyclable le long de l’immense lac Ponchartrain.
C’est de cette façon-là – que je me disais – que je sortirais de la ville : en suivant la piste cyclable, pout pout. Ça s’est avéré une bonne idée – m’enfin, au début.
J’ai fini par l’atteindre – elle s’appelle la Lakefront Trail – et je l’ai suivie.
Je n’ai pas vu grand-monde dessus, par contre : quelques marcheurs et cyclistes. En fait, des cyclistes, je n’en ai rencontré qu’une vingtaine dans toute ma journée, pas plus. Mazette, le vélo n’est pas très populaire dans cette ville…
J’étais quand même motivé, je prenais des photos – de tortues, de hérons, du lac, etc.
Ça allait bon train. Je souriais à la vie : j’y étais enfin, dans mon projet de marche ! Depuis le temps que j’en parlais – et que je m’entrainais !
Et puis, tout à coup, la piste s’est mise à s’interrompre de temps à autres : j’étais obligé d’en sortir, et de la reprendre plus loin, et d’en ressortir encore.
Il faut savoir qu’une digue est érigée tout le long du lac Pontchartrain au cas où celui-ci déborderait de nouveau – voir ma capsule encyclopédique à la fin de cette chronique. La piste cyclable longe cette digue du côté lac. La ville comme telle se trouve de l’autre côté. Je passais donc d’un côté à l’autre dépendamment des endroits.
Et puis finalement, il n’y a plus eu de piste cyclable pantoute. Seulement que la ville. Et c’est à ces endroits-là que je me faisais l’effet d’un extraterrestre qui s’était égaré de sa galaxie. En tout cas, c’est comme ça que j’étais quelquefois regardé…
Faut dire que traverser une grosse ville comme celle-ci, sur des artères achalandées, sans trottoirs ni accotements par endroits, dans le gros trafic à quelques reprises, et avec une poussette de bébé à bout de bras, y’avait de quoi s’attirer quelques regards équivoques.
À certains endroits stratégiques, comme aux intersections d’autoroutes, par exemple, ou en traversant des viaducs – sans savoir si j’avais l’autorisation de faire ça –, j’ai même eu droit à quelques conducteurs impatients qui me contournaient à peine….
Mais je n’avais pas le choix : c’était ça où je prenais un taxi pour me sortir de la ville. Ce que je me refusais, car ça aurait très mal commencé un « voyage de marche ».
Ce qui m’a confirmé, en passant, qu’un périple de la sorte n’est pas compatible avec les grosses agglomérations urbaines. Je ferai dorénavant très attention de toutes les éviter, si c’est possible.
Mais ce n’est pas tout, Encore plus loin, à l’est, en m’en allant vers la sortie de la ville, cette partie-là a commencé à me faire une drôle d’impression. Les maisons étaient plutôt délabrées. Et la couleur de peau des gens étaient majoritairement noire. Je sentais désormais que je suscitais moins la curiosité que la suspicion. On me regardait passer sans sourire – au contraire, Des enfants m’entouraient en vélo avec des airs très peu avenants. Bref, je me suis mis à ne plus me sentir du tout à l’aise. Ça craignait, comme disent les Français.
Et ça a duré deux-trois heures comme ça, mais je suis enfin venu à bout d’en sortir Pas trop tôt ! Un peu plus rassuré d’un côté, mais maintenant aux prises avec une autre appréhension : où donc allais-je installer mes pénates, ce soir ? En sortant de la ville, j'allais bientôt prendre une route quasi-inhabitée qui longeait les bayous… Et pas question que je couche dans les bayous, évidemment… Misère, ça commence ben. Quel Indiana Jones, je fais !
J’ai finalement trouvé un endroit qui m’apparaissait moins inquiétant qu’ailleurs. J’explique…
Sur le bord de la route 90, y’avait un genre de lac-marais – celui dont je faisais référence au début. De l’autre côté, s’étendait un espace qui m’apparaissait public, avec quelques arbres. Et de l’autre côté de cet espace était érigé un quartier résidentiel, que je soupçonnais pauvre, encore une fois – et je n’avais pas tout à fait tort.
Je me suis engagé dans l’espace vide, et je me suis dirigé vers un arbre qui offrait une ombre salvatrice.
Je me suis reposé là pendant le reste de la journée en massant ma jambe. Ah oui, j’ai oublié de dire que j’ai boité pendant toute la dernière moitié de la journée à cause d’une douleur sur le devant de ma cheville gauche – comme si je m’étais cogné le tibia quelque part, mais je ne me souviens pas de ça. Et peut-être aussi que je fabule, mais il me semble même qu’elle est légèrement enflée, cette cheville, ce soir. M'enfin, difficile à dire, comme ça...
Bon, bref… J’ai finalement monté ma tente pour prendre une bonne nuit de sommeil. Et c’est comme ça que ma première journée s’est terminée…
Pensez-vous ?
Ben voyons…
Anecdote : ÇA VA PAS BEN PANTOUTE…
Lorsque je suis arrivé à l’ombre de l’arbre que j’avais spotté, je me trouvais également derrière l'une des maisons du développement résidentiel. Celle-ci se trouvait à moins de cinquante mètres, et je ne voyais que l’arrière. Un moment donné, j’ai vu en sortir une jeune fille. Conscient que je pouvais paraitre bizarre, je me suis levé pour aller expliquer ce que je faisais là. Mais en m’avançant, je me suis rendu compte – maudite cataracte – que c’était une enfant. Et elle s’est sauvée vite fait dans la maison. Bon, ok…
Encore un peu plus tard, une grosse madame noire est sortie de la même maison. Je me suis levé de nouveau pour retenter ma chance.
Tabarnouche, je n’étais pas du tout le bienvenu ! Elle m’a bien fait comprendre qu’elle n’était pas du tout d’accord avec mon installation à cet endroit. Qu’à cela ne tienne, il n’était pas question que je m’en aille à cette heure-là – il devait être rendu environ 17h00. J’ai tenté de la rassurer en lui disant que je ne dérangerais pas personne. Et elle est rentrée en maugréant. Je ne l’ai plus revue.
J’ai monté ma tente. Je me suis installé à l’horizontale à l’intérieur. Vers 20h00, il faisait déjà sombre, et j’ai commencé à dormir, épuisé.
C’est là que la tempête s’est déchainée !
Dans l’obscurité, et juste à l’entrée de ma tente, une voix m’a soudain réveillé en sursaut : une voix d’homme ; et une voix très agressive, qui criait. Je me suis redressé en tentant de reprendre mes esprits. J’ai vu que c’était un Noir, jeune trentaine, baraqué. J’ai tenté de comprendre ce qu’il me disait à travers son flot de paroles et son accent très prononcé, mais c’était pas facile.
J’ai cru finalement saisir qu’il croyait que je voulais kidnapper / ou violer / ou tuer sa fille (de 6 ans) – celle que j’avais vue quelques heures plus tôt, probablement –, et il m’ordonnait de sacrer mon camp.
J’ai évidemment tenté de répondre. Peine perdue, il n’écoutait rien. Il ne faisait que répéter qu’il n’était pas question que je kidnappe / ou que je viole / ou que je tue son enfant de 6 ans. Et il a même commencé à dépieuter ma tente sans me demander mon avis ! J’étais complètement décontenancé. J’étais dans un cauchemar ou quoi ?!
L’affaire était en train de dégénérer ben raide en tout cas, car il n’était pas question que je remballe ainsi mes affaires dans la nuit pour un ridicule malentendu de la sorte. Mais comment lui faire entendre raison ? Il n’écoutait toujours rien de rien ! Un véritable hystérique. Allais-je lui sauter dessus ? Ça ne m’apparaissait pas du tout une bonne idée. Mais quoi faire d’autres ?
Et c'est juste à ce moment-là que du nouveau – encore ! – est survenu…
J’ai soudain entendu une sirène, et j’ai été aveuglé par des phares de voiture et par un feu d’artifice de lumières bleues et rouges.
Tabarnouche ! C’était la brigade SWAT !
M’enfin, non, j’exagère… C’était juste la police ordinaire…
Mais quand même…
La première chose que l’agent m’a demandé en sortant de l’auto, c’est si j’avais des armes dans ma tente.
Hein ?! Des armes !! Ben voyons donc ! J’ai pas d’armes pantoute dans ma tente ! Non, mais c’est quoi l’affaire ? Est-ce que je suis dans un canular des Insolences d’une caméra ?!
Heureusement, le policier était jeune et il semblait d’emblée sympathique. Ce qui m’a tout de suite rassuré. Je lui ai expliqué la situation avec mon anglais tout croche. Il a tout compris du premier coup. Il a souri. Il a demandé mon passeport, il s’est retiré dans sa voiture, il est revenu en me tendant mes papiers, et puis il m’a souhaité bonne chance dans mon projet, tout en essayant de tranquilliser l’autre malade – qui n’avait pas cessé de gesticuler et de se lamenter pendant tout ce temps-là.
--- Calme-toi, vieux. Il ne fera aucun mal à ta fille, fais-moi confiance. Il va dormir jusqu'à demain, 6h00, et il va s'en aller. Allez rentre chez toi, et écoute un bon film à la télé avec ta femme. Si ça peut te rassurer, je reviendrai faire des rondes de temps en temps durant la nuit. Ça te va, ça ?
Je me suis excusé pour toute cette histoire. Le policier a ri. L’autre a continué de bougonner en retournant chez lui.
Tout bien considéré, c’est une vraie chance pour moi que ce policier soit intervenu juste à ce moment-là. Qui sait comment tout cela se serait terminé… Dans un bain de sang ?
Mais au fait, comment se fait-il qu’il soit arrivé pile à ce moment-là, justement, celui-là ? Bizarre, ça, non ?… Est-ce que c’est mon bonhomme surexcité qui l’avait appelé avant de venir s'en prendre à moi de sa propre initiative ? Est-ce qu’il est passé par là « par hasard » ?
Ou ben, coup donc, s’agissait-il là en fin de compte d’une intervention planifiée de mon Ange gardien pour me sortir du pétrin ?
J’aime à le penser, en tout cas…
Bref, c’est là-dessus que cette première journée a pris fin. Mon voyage a bien commencé, hein ? Mettez-en…
Je reviens avec la suite des choses. Restez aux aguets.
PS) Désolé de ne pas être passé dans le très touristique « quartier français ». D’aucuns diront que c’est dommage de m’être trouvé dans cette ville et de ne pas en avoir profité pour faire du tourisme traditionnel. Je répondrai « tant pis » : l’idée de ce voyage n’est pas de visiter, mais de marcher, car je suis en genre de pèlerinage, ne l’oublions pas.
Mais si je reviens un jour par ici, dans un autre contexte, je me reprendrai. Promis !
* * * * * * * * * * * * * * * * * * * *
DIMANCHE, 20 MAI 2018
* * * * * * * * * * * * * * * * * * * *
LA CAPSULE ENCYCLOPÉDIQUE
DES MAUDITS VENTS
Katrina est le nom d’un ouragan de catégorie 5 qui avait frappé La Nouvelle-Orléans (drette là où je suis en ce moment) à la fin du mois d’août de 2005.
À noter que « 5 » est la note la plus élevée qu’un ouragan puisse se vanter d’obtenir dans une compétition de force de vent. C’est pas du tout jojo à voir quand ça se passe, apparemment…
Il faut savoir que La Nouvelle-Orléans est entourée d’eau et que plusieurs quartiers sont érigés jusqu’à 2 mètres sous le niveau de la mer (toutes les parties en bleu sur la carte ci-dessous).
Lors du passage de Katrina, les digues qui protégeaient la ville avaient lâché, et les zones en bleu avaient été englouties par des inondations monstres. Glou-glou-glou. Take a kayak ! 1836 décès confirmés… Apocalypse now…
Les travaux d’endiguement qui devaient être effectués par la suite pour qu’une telle tragédie ne se reproduise plus étaient pharaoniques. J’ignore s’ils ont tous été accomplis à ce jour. On va espérer que oui, car je passe la nuit sur un spot particulièrement délicat : dans une zone en-dessous du niveau de la mer et pas trop loin des digues, justement – celles du lac Pontchartrain (voir de nouveau la carte ci-dessous).
Si fallait qu’elles flanchent pendant la nuit, demandez à Céline qu’elle vienne me sauver avec son kayak, OK ?
* * * * * * * * * *
Lisez le prochain épisode de cette aventure |
|
Lisez le tout premier épisode de cette aventure |
|
La liste de tous les épisodes de cette aventure est ici |
A découvrir aussi
- (01) 16 mai 2018 - Présentation du projet
- (03) 16 juillet 2018 - De retour... et en commençant par la fin
- (14) 6 juin 2018 - Une toute petite saucette en Géorgie