Les maudits vents

Les maudits vents

2013-02-03 --- Au milieu du monde et dans le cratère du Pululahua

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De : Yvan – Quito

Date : dimanche, 3 février 2013

À : parents et amis

 

Bonjour à tous,

 

J’ai dû changer mon plan de match aujourd’hui, car le plafond de nuages était trop bas ce matin pour ce que je voulais faire. Ça prenait en effet un ciel dégagé. Je ne vous en dis pas plus pour garder la surprise – car je n’ai pas dit mon dernier mot concernant cette activité !

 

Mais qu’à cela ne tienne, j’avais un plan B. La très gentille Laly est de nouveau venue me reconduire à la station d’autobus. Et ne reculant devant rien, je me suis rendu à la Mitad del Mundo… Le MILIEU DU MONDE ! Hou-hou… Rien de moins… Cet endroit absolument « stratégique » se trouve banalement à une vingtaine de kilomètres au nord de Quito – mais ça prend une heure pour s’y rendre – le transport en commun est un peu lent, ici…

 

La Mitad del Mundo est en fait un monument commémorant un événement survenu au 18e siècle. À cette époque, une équipe de scientifiques européens avait été envoyée dans les Andes pour aider à déterminer si la Terre était ronde ou ovale. Une fois sur place, en 1736, les savants avaient commencé par établir la latitude précise de la ligne équatoriale (aussi appelée « équateur terrestre ») et avaient marqué cet endroit d’une borne. Le monument actuel, la Mitad del Mundo, se trouve exactement sur l’emplacement de cette borne.

 

En vérité, les savants s’étaient légèrement trompés… La vraie ligne équatoriale se trouve un peu plus au nord, à moins de 300 mètres. Mais on ne leur tiendra pas rigueur de cette infime différence du fait qu’en 1736, les GPS et les satellites n’étaient pas encore tout à fait au point.

 

Cela dit, je ne sais pas pourquoi cette ligne-là emballe tant de monde – moi inclus… Elle n’existe même pas concrètement. Elle est invisible. C’est une ligne abstraite, virtuelle, qui n’a de réalité que dans notre tête. Je vous épargne les explications astronomiques de la chose. Ceux dont ça intéresse peuvent jeter un coup d’œil sur Wikipédia.

 

Disons simplement que les deux seules journées de l’année où cette ligne prend un certain sens pour le commun des mortels, à cet endroit, sont les 21 mars et 21 septembre. À ces deux dates là, à midi juste, le soleil frappe les habitants drette au-dessus de leur tête, perpendiculairement, et de façon très précise. Ce qui fait que, lors de ces deux instants très brefs, les gens qui se tiennent sur la ligne équatoriale n’ont plus d’ombre, comme le grand Ésimésac de Fred Pellerin, ou comme le ténébreux Dracula de Bram Stoker. Façon de parler, bien sûr, car leur ombre existe toujours, mais elle se trouve sous eux.

 

Passé ces deux journées, ce sont d’autres habitants de la Terre qui vivent successivement cet événement au cours de l’année. C’est-à-dire les gens qui demeurent au nord de la ligne équatoriale (du 21 mars au 21 septembre), et les gens qui demeurent au sud (du 21 septembre au 21 mars) ; du moins ceux qui demeurent en deçà des tropiques du Cancer et du Capricorne…

 

Ouf, on en reste là pour cet aspect de l’affaire, OK ?

 

Comme nous ne sommes ni le 21 mars ni le 21 septembre, j’ai donc vu la mienne (mon ombre) – comme la marmotte voit la sienne lorsqu’elle annonce le printemps –, même si elle n’était pas bien longue. Pour vivre l’expérience de son absence totale, en ce temps-ci de l’année, il aurait fallu que je descende jusqu’au sud du Pérou. Ce sera pour une autre fois, disons…

 

Et quand bien même je me serais trouvé à la Mitad del Mundo le 21 mars ou le 21 septembre, j’aurais pu vivre le même phénomène en un nombre incalculable d’autres endroits dans le pays, à l’est ou à l’ouest ; et en bien d’autres endroits de par le monde : en Amérique du Sud, en Afrique centrale, en Indonésie...

 

Alors quoi ?

 

Alors, tout ça ne sert évidemment qu’à attirer les touristes. Car voilà finalement, entre autres, ce qu’est la Mitad del Mundo : un endroit où des gens ont su exploiter cette ligne invisible afin de développer une économie touristique prospère.

 

L’agglomération (appelée Ciudad Mitad del Mundo) qui se trouve autour du monument est d’ailleurs artificielle. Il s’agit d’un faux village colonial construit de toutes pièces, avec son lot de restos, de cafés, de boutiques de souvenirs et de tout le bazar. Et cela fonctionne à plein régime puisqu’il s’agit apparemment du site le plus visité de tout l’Équateur. Comme le dirait sûrement notre bon monsieur Harper, s’il était Président de l’Équateur (avec son accent albertain) : « Le ligne équatoriale, cela est très bon pour la économie du Ecuador. »

 

J’exagère, bien sûr… L’endroit est également consacré à cette expédition scientifique de 1736 qui a contribué à faire avancer l’étude de la Terre et de sa place dans l’univers. Il s’agit là, quand même, d’un événement historique important qui se devait d’être mis en valeur. Et des musées s’y consacrent d’ailleurs avec compétence.

 

Malgré tout le flafla qui entoure ce lieu, le déplacement a valu la peine en ce qui me concerne. Je suis sorti de l’enceinte de cet endroit, et je me suis rendu juste à côté, au musée Inti Ńan – que j’ai visité – consacré aux Indiens d’Amazonie et à la fameuse ligne équatoriale.

 

La « vraie » ligne passe d’ailleurs drette à cet endroit. Comme des millions de gens de par le monde, je peux maintenant me vanter de m’être tenu debout à cheval sur le milieu du monde (l’image est forte, non ?) ; c’est-à-dire d’avoir eu simultanément un pied dans l’hémisphère nord de la Terre, et l’autre dans l’hémisphère sud. Pour ceux qui auraient envie de me poser la question : non, ça ne fait pas mal à l’entrejambe…

 

Certes, on peut faire la même chose tout le long des 40 075 km de l’équateur terrestre. Mais là, à 300 mètres au nord du monument de la Mutad del Mundo, il y a au moins une ligne tracée par terre qui nous certifie qu’on franchit la ligne virtuelle réelle (ça fait drôle de dire ça : la ligne virtuelle réelle…) pile à la bonne place…

 

Oui, bon, OK… après ça…

 

Après ça, j’ai payé un pick up pour qu’il m’emmène à Pululahua, à quelques 5 km de là…

 

Hein ? Kessé ça, Pululahua ?

 

Pululahua est une petite localité de fermettes qui a élu domicile dans… dans un cratère de volcan ! Ben oui, dans un volcan, rien de moins. Un volcan éteint, on s’entend ! Mais quand même, faut le faire. Surtout qu’il se trouve à 300 mètres de profondeur et qu’aucune route n’y mène, sauf un petit sentier de VTT.

 

L’endroit, vu d’en haut, est de toute beauté. J’ai eu la chance qu’il n’y ait pas eu trop de nuages quand je suis arrivé. J’ai donc pu l’admirer un peu. Comme je disais, la profondeur du cratère est de 300 mètres. Sa circonférence, elle, est de 4 km. Et là, dans ce cratère, vivent pauvrement quelques fermiers sur des terres cultivées.

 

Après cinq minutes de contemplation, je vous avoue que j’ai eu un terrible dilemme. J’avais initialement prévu descendre dans le gouffre. Ben quoi ? Ce n’est pas tous les jours qu’on peut se tenir debout dans le cratère d’un volcan, hein ? Mais j’ai hésité. La descente est hyper longue (un sentier de pierrailles en lacets) et hyper à pic. Et ce coup-ci, il n'y a aucun taxi en bas pour nous remonter si on est trop fatigué. Qu’auriez-vous fait, vous, à ma place, encore une fois ?

 

Je suis sûr que vous auriez de nouveau fait comme moi, et que vous vous seriez élancé en disant : « Ah et puis zut ! Advienne que pourra ! »

 

La descente a été un peu difficile du fait que je n’avais pas mes shooklacks de marche, et que ça glissait beaucoup. Mais quand même : je trippais ben raide. Je dois avoir entendu les cris de tous les animaux de ferme, en descendant, et qui provenaient d’en bas. Et puis, au bout de ¾ d’heure, j’y suis arrivé ! Et j’ai marché jusqu’au milieu pour admirer ce que ça a l’air de se retrouver entouré de montagnes de toute part.

 

Deux primeurs dans ma vie, donc, aujourd’hui : je me suis retrouvé 1) à cheval sur la ligne équatoriale ; et 2) debout au milieu d’un cratère de volcan.

 

¡Chévere!

 

La remontée, maintenant… Tout a un prix dans la vie, n’est-ce pas ? J’en ai arraché, mais pas tant que je m’en attendais à propos de la longueur. En fait, alors que je m’étais donné deux heures pour me rendre en haut, ça m’a pris… 50 minutes… Soit 5 minutes de plus que la descente. Je n’y ai rien compris… J’avais toutefois apporté un litre d’eau avec moi, alors que j’en ai évacué sûrement plus de dix...

 

Et en montant, j’ai rencontré quelqu’un que vous connaissez peut-être… Vous avez lu L’histoire sans fin ? Dans le livre, dans un des chapitres, il y a un couple de vieux gnomes : une femme et un homme qui ont la peau toute ratatinée, comme des pommes pourries. Eh bien, je les ai vus !! Pas ceux du film : ceux du livre. Ils descendaient pendant que je montais. Tous petits, tous plissés et tous bruns, comme dans le bouquin, mais vêtus d'un costume traditionnel quechua. Je n’ai pas pris de photo, par contre, car c’était trop gênant.

 

Bref, ils descendaient. Et la question que je me pose encore depuis cette rencontre, c’est : comment diable avaient-ils fait pour monter ?!

 

Une fois rendu en haut, je n’ai pas eu le choix de marcher de nouveau pour me rendre à la grand-route – mais là, ça descendait, heureusement…

 

Le retour vers Quito s’est bien déroulé. Les autobus sont partout par ici. Vous n’avez pas à attendre longtemps sur le bord de la route pour sauter dans un. Par contre, faut être patient en titi avant d’arriver à destination !

 

Pis là, ben je suppose que vous vous préparez à retourner à vos occupations quotidiennes ? Eh bien moi aussi ! Demain, je retourne voir Liliana pour la poursuite de mes cours.

 

Hasta pronto tout le monde, et portez-vous bien

 

Yvan

 

PS) Il pleut depuis cinq minutes ! Mes premières gouttes de pluie depuis que je suis arrivé ici !

 

 

 

 

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20/03/2017
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